Pourquoi vous auriez tort de rire de la semaine de 32 heures de Benoît Hamon

Si elles ne figurent pas dans son programme de candidat à la primaire socialiste, les 32 heures de travail hebdomadaires constituent un cap politique cher à Benoît Hamon. L’idée met la droite et Manuel Valls en émoi mais est pourtant moins incongrue qu’il n’y paraît.

« Est-ce cette conception de la société que nous voulons? » Quand il évoque les « 32 heures » proposées par Benoît Hamon lors du débat d’entre-deux-tours, Manuel Valls a la mine grave. Comme pour le revenu universel de son concurrent, l’ancien Premier ministre oppose à « la société du farniente » celle du travail, au candidat de la feuille d’impôt, celui de la feuille de paie.

Une mesure programmée absente du programme

En réalité, les 32 heures, comme la raréfaction du travail à laquelle elles sont censées répondre, relèvent davantage du parti pris prospectif que de l’engagement de campagne. S’il en a reparlé mercredi soir, suggérant un passage aux 32 heures payées 35, la mesure ne figure pas dans le programme du favori de la primaire socialiste. Mais elle indique une direction pour laquelle Benoît Hamon est depuis longtemps programmé.

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Quand Martine Aubry élabore la réforme des 35 heures en 1997, il est aux premières loges en tant que conseiller technique de la ministre du Travail. Presque vingt ans plus tard, quand Christiane Taubira rêve à voix haute « d’un monde où on peut travailler 32 heures », provoquant l’ire de Manuel Valls et la circonspection d’Emmanuel Macron, Benoît Hamon acquiesce silencieusement. Et quand l’entourage de cette dernière pousse sa candidature pour 2017, Hamon fait savoir qu’il est prêt à s’effacer.

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L’hypothèse Taubira finalement écartée, c’est donc avec les 32 heures en bandoulière que Benoît Hamon est monté au front de la primaire. La droite du PS, Manuel Valls en tête, compléterait bien cette panoplie en lui enfonçant un bonnet d’âne sur la tête. Mais l’entreprise s’avère un peu plus compliquée qu’il n’y paraît.

La semaine de 32 heures, la droite a déjà essayé

Les partisans d’une telle mesure le jurent: les 32 heures, en réalité, nous y sommes déjà. Avec plus de 5 millions de chômeurs et une durée légale du travail généralement comprise entre 35 et 39 heures, la moyenne hebdomadaire travaillée par les Français est déjà très en dessous de 32 heures. En revanche, personne ne considère qu’il faut s’en satisfaire. Et lorsque Benoît Hamon parle de la semaine de quatre jours, il ne rêve pas d’une moyenne, mais bien, à terme, de la durée légale du travail.

Hommes et femmes politiques de droite qui s’effraient des 32 heures sont souvent bien placés pour en parler. Si la réduction du temps de travail passe pour une idée de gauche, c’est la droite qui s’est la première chargée d’expérimenter cette voie dans les années 1990.

En 1996, Gilles de Robien, alors ministre d’Alain Juppé, prêtait ainsi son nom à une loi « facultative » d’aménagement du temps de travail, qui n’aura été abrogée qu’avec la promulgation des lois Aubry. Entre 1996 et 1998, des centaines d’entreprises embauchent alors sous le régime de la semaine de quatre jours en échange d’exonérations de cotisations sociales. La même méthode est préconisée aujourd’hui par Hamon. L’assureur Macif, le charcutier industriel Fleury Michon, ou encore nos confrères de Télérama, s’étaient alors laissé séduire.

Une idée toujours populaire à gauche

En revanche, contrairement au camp d’en face, la droite n’a jamais rêvé de faire de la réduction du temps de travail une norme. Et c’est bien à gauche que l’idée de la semaine de 32 heures est la plus populaire. Outre le fondateur du parti Nouvelle donne, Pierre Larrouturou, Benoît Hamon peut compter sur de nombreux soutiens.

En 2011, un collectif d’économistes lançait un plaidoyer dans les colonnes du Monde « pour la semaine de 32 heures ». En 2012, le projet figurait même en toutes lettres dans le programme présidentiel d’Europe Ecologie les Verts. Leur argument: la productivité croît inexorablement, faisant évoluer le besoin de main-d’oeuvre en sens inverse. Leur conclusion: partager le temps de travail est la seule façon de faire refluer le chômage.

Même son de cloche par exemple à la CGT, où Philippe Martinez prône depuis toujours la semaine de quatre jours.

« Le sens de l’histoire »?

De l’autre côté de nos frontières, dans la très vertueuse Allemagne, c’est une ministre du parti social-démocrate (SPD) qui s’est aventurée en 2014 sur le terrain des 32 heures. Manuela Schwesig, ministre de la Famille du gouvernement de coalition d’Angela Merkel, prônait alors une réduction du temps de travail hebdomadaire à 32 heures pour les parents de jeunes enfants. Et proposait en outre que le manque à gagner soit compensé par la fiscalité. Certes, contrairement à la France, l’Allemagne est en situation de plein emploi et ne connait pas les mêmes difficultés budgétaires. Et puis l’Allemagne fait face à un problème de natalité qu’une telle mesure aurait pu conduire à encourager.

Ces derniers mois ou années, ce sont surtout les sorties fracassantes de Carlos Slim et de Larry Page que le monde aura retenu. Le premier, qui caracole en tête des plus grosses fortunes mondiales, n’est pas réputé pour son gauchisme forcené. Ce milliardaire mexicain, magnat des télécoms, va pourtant jusqu’à rêver d’une semaine de trois jours. « Avec trois jours de travail par semaine, nous aurions plus de temps pour nous détendre, pour la qualité de vie. Avoir quatre jours de repos générerait de nouvelles activités de divertissement et d’autres manières de s’occuper », considérait-il au printemps 2014. Presque du Hamon dans le texte. En contrepartie, il envisageait un allongement drastique des carrières quitte à perdre Benoît Hamon en route: « Les gens devront travailler plus longtemps, jusqu’à l’âge de 70 ou 75 ans ».

A la fin de la même année c’était au tour du patron de Google, dont le brevet de libéralisme n’est pas à remettre en cause, d’abonder dans ce sens. Pour Larry Page, la réduction du temps de travail est simplement le sens de l’histoire. Comme l’économiste Jeremy Rifkin, que Hamon se plait parfois à citer, il considère inéluctable la raréfaction du travail sous l’effet du progrès technique. « La quantité de ressources et de travail [requise pour satisfaire nos besoins] se réduit. L’idée qu’il faille travailler frénétiquement pour satisfaire ces besoins est tout simplement fausse », se plait-il à répéter.

A en juger par la cadence de ses propres employés chez Google, Page parlait essentiellement pour l’avenir. Mais en pariant sur le tandem Slim-Page plutôt que sur Valls-Fillon, Benoît Hamon se ménage toutes les chances d’avoir un jour raison.