Et si l’effet Juppé durait?

Tweet

Screen Shot 2015-07-31 at 10.31.51 AM

« Juppé : attention à l’effet bulle », « quand la bulle Juppé éclatera », « La bulle Juppé est-elle en train de se dégonfler ». Depuis trois mois les médias, qu’ils soient de gauche, de droite ou d’extrême droite se gondolent autour de la baudruche Juppé. De ce favori des sondages qui a l’épreuve du feu – celui de la primaire de la droite face à Nicolas Sarkozy – va exploser en vol et terminer sa course de « meilleur d’entre nous » dans les limbes de l’histoire.

Si l’on s’en tient au simple fait qu’historiquement le favori, deux ans avant les présidentielles n’a jamais été élu, leur argumentaire peut se tenir. Toutefois, ces analystes de la politiques se trompent et font fausse route pour au moins trois raisons qui tiennent tant à la politique qu’à l’imaginaire collectif de ce pays.

Ainsi, selon les météorologues politistes, Juppé serait  « un rassembleur » incapable de mener une campagne, un « vieux sage » de la politique qui va vraiment avoir du mal à mener une campagne lorsque les hostilités de la primaire vont démarrer ou encore une « illusion sondagière » tenant au fait qu’il n’a pas encore réellement fait de propositions politiques et s’appuyant également sur la faiblesse conjuguée de François Hollande et Nicolas Sarkozy.

Là encore, si tant est que l’on veuille y croire, les arguments peuvent éventuellement tenir. Et si au contraire Juppé était tout l’inverse ?

Jusqu’à présent et depuis son retour réel dans la vie politique française au ministère de la défense et aux Affaires étrangères, Alain Juppé n’a fait aucune erreur politique, aucune erreur de communication et surtout n’est pas apparu comme un louvoyeur. Au contraire, sa politique étrangère a été affirmée et a tempéré les emballements du président Sarkozy. Idem, lorsqu’il s’est agit de tenter de juguler la crise à l’UMP lors de l’élection abracadabrantesque entre François Fillon et Jean-François Copé. Juppé a su tenter une médiation sans pour autant tomber dans les guerres microcolines d’un parti complètement à la dérive.

Juppé, contrairement à ce que semblent dire les analystes aujourd’hui, loin de profiter de la faiblesse d’Hollande et Sarkozy tire profit d’un positionnement clair lors d’un errement partisan. Cela permet de tirer un enseignement : Juppé apparaît aujourd’hui non pas comme « rassembleur mou » mais plutôt comme celui qui est capable de sortir la France d’un système partisan à bout de souffle qui ne fonctionne que pour et par les apparatchiks qui le compose. Bref, c’est une force réelle. A longueur d’enquête quali, les Français disent qu’ils n’ont aucune confiance dans les partis politiques, quels qu’ils soient, pour les faire sortir du marasme. C’est bel et bien cela qu’incarne le maire de Bordeaux et non pas un « rassembleur mou hors-sol ».

D’ailleurs, l’ex premier ministre ne vient-il pas de lancer un site internet participatif « agis pour la France  » qui existe bel et bien à côté de l’UMP ?  Et qui a vocation, comme le fut Désirs d’Avenir de Ségolène Royal en 2006, à être une rampe de lancement et de mobilisation bien plus efficace que la lourdeur de la machinerie des ex-UMP.

Screen Shot 2015-07-31 at 10.33.26 AM

Même constat quand on étudie la façon dont est perçue la capacité d’Alain Juppé pour faire campagne. Pour ceux qui sont allés, comme l’auteur de ces lignes, à Bordeaux pour suivre la dernière campagne municipale, il est clair qu’Alain Juppé a la niaque en campagne. Il ne laisse rien au hasard, analyse tout, est capable d’aller à la rencontre des gens. Et ce même lorsqu’il est largement annoncé comme favori comme ce fut le cas face à Vincent Feltesse en 2014. Possible comme ce fut le cas pour François Hollande en 2012 que la sarkozie sous-estime les qualités de campaigner du maire de la ville de Montaigne.

Enfin, sur le fond des idées politiques. La vulgate éditorialisante serine une idée et une seule. En substance : Juppé serait haut dans les études d’opinion car il n’a pas encore fait de propositions concrètes. Là encore, la courte vue est la règle. De facto Juppé a fait des propositions disruptives pour son camp : l’adoption pour les couples homosexuels, l’identité heureuse complètement à rebours des diatribes de la droite sur la suppression du droit du sol et autres chimères. On est loin de l’homme lisse qui ne dit rien et ne se mouille pas. Idem sur son propre terrain. Celui de la droite. Là encore le maire de Bordeaux n’avance pas masqué. Lors de son passage à DPDA ou plus tard, il s’est montré ferme sur sa vision économique. A droite. Ainsi, il a défendu sa méthode, « un électrochoc de confiance », mais aussi des mesures « travailler plus dans la fonction publique », « sortir du carcan des 35 heures », réformer l’Aide médicale d’Etat face au « tourisme médical », « supprimer l’ISF », revenir à des dépenses publiques à 50% du PIB, et ouvrir une expérimentation concernant l’exploitation des gaz de schiste avec un « site pilote ».

 Screen Shot 2015-07-31 at 10.32.51 AMReste le bilan 1995 : là est le vrai problème de Juppé. Ce qui peut lui porter préjudice pour justement attirer assez de voix du centre et de gauche pour gagner au deuxième tour d’une présidentielle. Même si certains s’accordent pour dire que s’il avait réussi ses réformes, le pays irait mieux, le fait est que ces grèves de 1995 sont historiques, et symboliques.

Elles contiennent déjà en germe les difficultés des gens à joindre les deux bouts. Les craintes fondées face à l’économisme à tout crin et au gouvernement par les chiffres. Bref, ils sont un stigmate réel dans la construction du storytelling de Juppé. Il devra, à un moment donné, solder ce passé s’il veut l’emporter.

Et si plutôt qu’une bulle Juppé était en fait le reflet d’aspirations profondes du pays ? Quelqu’un qui est en fin de carrière et qui n’a plus qu’à se préoccuper réellement de la France et non pas des courbes du chômage qui vont baisser (ou non) et qui vont permettre une seconde candidature.

Quelqu’un qui au final n’est plus un homme de parti. Quelqu’un qui est capable de casser les codes en adoubant certaines idées qui vont contre son propre corpus politique et qui malgré tout est solide sur ses bases. Quelqu’un qui au final semble apparaître aujourd’hui comme le seul authentique Républicain de son parti. Républicain au sens noble du terme. A savoir que la République est plus importante que tout le reste. Et si la bulle imaginée par les médias était en fait un roc ?