« Le roi supplicié »

2048x1536-fit_hollande-invalidesLes malheurs le frappent comme plaies d’Egypte: a-t-on jamais vu, en notre Histoire, roi si tourmenté, au point que les larmes lui viennent aux yeux?

Une fois n’est point coutume, ma chère et tendre, le sort de ce roi nous a serré le coeur. Jusques alors, nous l’avions raillé, moqué, brocardé à plaisir: c’était un très bon client. C’était tout autant un roi mou: l’un de ses féaux ne l’avait-il point surnommé « Guimauve le Conquérant »? C’était un roi habité par le démon de la procrastination: tout à embobiner ses commensaux, il cultivait avec un talent consommé l’art d’enterrer, de dissimuler, de noyer le poisson, et de renvoyer aux calendes grecques.

Les assassinats du treize novembre le tirèrent de son émolliente léthargie. Le rêve onirique dépeint par ses imagiers tourna au cauchemar, scellant ainsi la fin de sa ridicule geste Potemkine qui l’avait égaré chez Lucette, à siroter du jus de chaussette.

La fiction bisounours, tricotée par les petites mains de la manufacture des bobards, a brutalement fait place à l’élégie. Le supplice a balayé la routine, le prêchi-prêcha, cette irrémissible propension à barbouiller de rose cette tenace grisaille qui faisait notre quotidien.

Une fois n’étant point coutume, nous l’écrivions, ce roi, notre roi, nous inspire à présent la pitié que l’on porte aux suppliciés.

Peut nous chaut de savoir si le calvaire qu’il endure relève ou non du châtiment céleste. Le voici à ployer sous la mitraille, le feu nourri des événements funestes qui font de lui le grand ordonnateur des pompes funèbres.

Bientôt son règne viendra à s’achever: que restera-t-il de cette geste incohérente, toute de bric et de broc, entachée par le malheur et les échecs?

Par le Ciel, par quel sortilège entend-t-il passer à la postérité? Sous le nom de François le Malheureux, Fanfan la Scoumoune?

S’il n’est point blessé en sa chair, il l’est assurément en son âme.

Pour son règne durant, ne sera-t-il point honni tel celui par qui le malheur arrive, celui qui a le mauvais oeil, celui qui fait pleuvoir sous des cieux d’azur?

Pour l’heure, ses sujets se serrent, tels des moineaux apeurés par la tempête. Mais qu’en sera-t-il lorsque les mauvais vents viendront à se dissiper? Notre roi subira-t-il alors le sort de ceux que l’on ne veut plus ni voir ni entendre car ils éveillent les souvenirs les plus cruels?

Ce pauvre roi, notre roi, saura-t-il un jour distiller le bonheur, rétablir paix et prospérité? Le ferait-il que nulle âme ne lui en saurait crédit. Le voici à présent enfermé en la Vierge de fer, ce sarcophage infernal qui, lorsqu’il vient à être fermé par le bourreau, vous larde de mille dagues à des fins de vous supplicier sans vous délivrer dans la mort.

L’avez-vous seulement vu, ma chère et tendre, au bord des larmes, en cette Cour glaciale des Invalides?

Ces larmes amères, cette harangue empreinte de majesté, que signifiaient-elles au juste? Que le roi, tel un Bossuet gagné par le démon de l’autocritique, prononçait sa propre oraison funèbre? Pleurait-il les illusions perdues, pleurait-il les victimes des assassins?

Il n’est toutefois point requis d’être grand maître de la prédiction divinatoire: son calvaire n’est point sur sa fin.

Le hasard, barman cynique des destins, a rendu public les très mauvais chiffres du désoeuvrement au moment où le royaume pleurait ses enfants. Pour renfort de ce potage infernal, notre roi, ce pauvre Flou, se doit encore de faire son deuil de deux régions qu’il perdra sans grand doute sous quinzaine, le Nord et la Provence. Ainsi que le mande Artois, faisant sien un mot de Jacques le Hardi, « les merdes, ça vole en escadrille ».