Pourquoi les ministres du Travail « sautent comme des fusibles »

On pourrait facilement qualifier le poste de ministre du Travail de « prcaire ». A l’heure o Franois Rebsamen assure son dernier service aprs-vente sur les chiffres du chmage, L’Express s’est pench sur l’volution de la Rue de Grenelle, adresse phare de la communication politique.

« Offre d’emploi: ministère recherche ministre. » Cette fausse annonce Pôle emploi a alimenté les réseaux sociaux cet été après le choix de François Rebsamen de briguer la mairie de Dijon en succession de son ami Alain Millot, décédé en juillet dernier. La décision de Rebsamen prise, le casse-tête a commencé pour François Hollande et Manuel Valls qui doivent trouver un nouveau locataire pour la Rue de Grenelle. Et quand on sait que le chef de l’Etat a conditionné une éventuelle candidature en 2017 à ses résultats sur le front de l’emploi, le flottement qui règne depuis plusieurs semaines quant au successeur, est un véritable boulet pour l’exécutif.

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Manuel Valls et François Hollande le 27 novembre 2014 à l'Elysée, à Paris

Manuel Valls et François Hollande le 27 novembre 2014 à l’Elysée, à Paris

afp.com/Michel Euler

Il faut dire que le ministère du Travail n’est pas une adresse facile. « Ministère du chômage », « ministère des mauvaises nouvelles », le portefeuille collectionne les quolibets et ressemble à un cadeau empoisonné pour son titulaire. « C’est surtout devenu le ministère des fausses bonnes nouvelles », explique à L’Express Bruno Bethouart, professeur d’Histoire contemporaine retraité et auteur du Ministère du Travail et de la Sécurité sociale. De la Libération au début de la Ve République (Presses universitaires de Rennes, 2006). « Depuis que le ministère est devenu un lieu où la question essentielle est l’emploi, sans qu’il n’y ait de recette miracle, les ministres sautent comme des fusibles », remarque cet ancien professeur de l’université Littoral Côte d’Opale.

Huit ministres en huit ans

Et pour s’en convaincre, il suffit de regarder la liste des locataires qui ont défilé au ministère. Marqué par la crise financière et donc l’inexorable montée du chômage qui s’en est suivie, la Rue de Grenelle connaît une instabilité et un turnover particulièrement marqué depuis 2007. Sous Nicolas Sarkozy, c’est Bercy qui chapeautait les dossiers de l’Emploi avec Christine Lagarde en chef d’orchestre. Mais pour occuper officiellement la fonction de ministre du Travail, se sont succédés Xavier Bertrand (mai 2007 – janvier 2009), Brice Hortefeux (janvier 2009 – juin 2009), Xavier Darcos (juin 2009 – mars 2010), Eric Woerth (mars 2010 – novembre 2010) et de nouveau Xavier Bertrand (novembre 2010 – mai 2012). Sous François Hollande, deux (et bientôt trois donc) ministres ont eu droit au fardeau de l’exercice de la communication mensuel des chiffres du chômage. Et que ce soit Michel Sapin (mai 2012- mars 2014) ou François Rebsamen (avril 2014 – septembre 2015), qui a remis sa démission au chef de l’Etat la semaine dernière, ce sont des spécialistes de la politique plus que d’anciens inspecteurs du Travail, remarque Bruno Bethouart.

François Hollande et François Rebsamen, le 23 juillet 2015 au Château du Clos Vougeot

François Hollande et François Rebsamen, le 23 juillet 2015 au Château du Clos Vougeot

afp.com/Bertrand Guay

« Il y a eu un changement de structure dans les années 1960. Avant, le ministère était stable avec une véritable gestion et un profil très professionnel. Le ministre était quelqu’un de compétent, reconnu pour ses connaissances du monde du travail et de l’entreprise. Mais à cette époque, le chômage n’était pas le sujet n°1. Aujourd’hui, à partir du moment où le patron du ministre du Travail est le Premier ministre, c’est surtout devenu de la communication. » Et le professeur d’Histoire se replonge dans ses archives. « Paul Bacon (1907-1999) par exemple, ancien syndicaliste (un des pères de la Sécurité sociale et du Smig, ndlr) a été un grand ministre du Travail de la IVe et même de la Ve République. Il gardait son poste peu importe le gouvernement parce qu’il était compétent sur le fond des dossiers », note Bruno Bethouart.

Et si aujourd’hui le poste de ministre du Travail ressemble à un mauvais strapontin pour politicien, « le paradoxe, c’est que des professionnels et des spécialistes, ce n’est pas ce qui manque au sein du ministère », précise Bruno Bethouart. Mais à écouter l’historien, pour retrouver de la stabilité, le ministère ne devrait plus avoir la baisse du chômage comme obsession. Une stratégie à l’opposé du pari politique de François Hollande.