L’Europe, maintenant…

L’Europe sort-elle affaiblie ou renforcée de la crise grecque? Les avis divergent et ces discordances sont profondément révélatrices du profond remaniement idéologique qui affecte l’ensemble du continent et dont la vie politique française est un peu le miroir. Plus que le traditionnel antagonisme droite/gauche, l’attitude adoptée relativement à l’avenir de l’Europe va de plus en plus définir les discordances politiques et dessiner par là même un nouveau paysage non exempt de surprises.

Au delà de critiques ponctuelles sur le fonctionnement de l’Union, les vrais ressorts de l’euroscepticisme (pour ne pas dire de l’europhobie) sont la résurgence des nationalismes et le rejet du libéralisme économique. Le premier, qui vient surtout de droite, n’est pas vraiment nouveau et il se camoufle derrière la défense de la souveraineté des états. Le second n’est que la réactualisation de l’anticapitalisme issu du marxisme, à qui l’opposition aux pratiques néolibérales a donné une seconde jeunesse. Comme d’une part le projet européen conduit inéluctablement, sinon au fédéralisme, du moins à la mise en place d’une autorité politique supra-nationale et que (comme en témoignent les dernières propositions de François Hollande), la réflexion sur la crise grecque a agi en ce sens comme un révélateur, comme d’autre part l’Europe qui se construit s’inscrit dans la perspective historique du capitalisme libéral, la conjoncture actuelle réveille les controverses et les porte à l’incandescence.

La nouveauté est dans le brouillage de la communication et l’ambiguïté qui en découle. Mettre en cause le capitalisme n’est plus l’apanage du seul discours marxiste, de moins en moins audible, victime qu’il est tant de son dogmatisme que du constat évident que les choses ne se sont pas du tout passées telles qu’il l’avait prédit. Dans une indifférence croissante, les groupuscules trotskistes persistent à marmonner de plus en plus faiblement leur catéchisme répétitif et les héritiers du lénino-stalinisme peinent à exister. Quant aux invectives de J-L. Mélenchon, elles amusent plus qu’elles ne convainquent.

En revanche, on voit naître et croître brusquement des populismes brouillons qui séduisent un électorat dont le niveau sommaire de culture politique se contente de slogans simplificateurs. Pour ceux là, l’Europe est responsable de tous les maux, elle confisque aux citoyens des états leurs droits souverains, elle nie les identités nationales, elle ouvre grand les portes à une immigration invasive, elle impose des règles absurdes et, surtout, elle est l’agent de la finance ultralibérale dont l’instrument pervers est l’euro. Dans ce fouillis idéologique, finissent par se marier l’anti-libéralisme de gauche et le nationalisme de droite dont témoignent d’étranges rapprochements, de l’alliance en Grèce du gauchiste Syriza avec les très droitiers identitaires « Grecs indépendants » à l’affinité soudaine, en France, que J-P. Chevènement manifeste à l’égard de Nicolas Dupont-Aignan, lui-même assez proche de Marine Le Pen…

Le problème de ces mouvements épisodiques est qu’un éphémère succès peut les porter au pouvoir. La confrontation, alors, entre leurs promesses inconsidérées et la froide réalité conjoncturelle signe rapidement leur déclin en démontrant leur impuissance, comme en témoigne en Grèce la débâcle de Syriza. C’est cette occurrence que doivent saisir les partisans du projet européen, à charge pour eux de dépasser les blocages nés des égoïsmes nationaux et du manque de perspective de classes politiques plus soucieuses de carrières et de réélections que d’intérêt général. Les carences révélées par la question grecque peuvent là jouer le rôle d’un révélateur et obliger à prendre des décisions. Rendre aux peuples des états européens confiance en un projet d’union hors duquel le déclin est assuré est l’impératif absolu. Pour ce faire, il faut engager des actions fortes pour restaurer les solidarités entre membres de l’Union, à commencer au plan fiscal et budgétaire. Il faut s’entraider et non pénaliser. En Grèce, par exemple, la prétendue tutelle doit devenir conseil en vue de la construction d’un état moderne et l’allègement d’une dette ingérable doit y être associé.

Il faut d’autre part démystifier les discours idéologiques. Pas plus que l’islamisme ne se confond avec l’islam même s’il en procède, le néolibéralisme n’est pas l’aboutissement de la pensée libérale, mais sa radicalisation et comme toutes les radicalisations, il s’inscrit dans l’excès et le dogmatisme. L’Union européenne (spécialement l’eurozone) n’a jamais été ultralibérale. Plus le temps passe, plus la complémentarité droite/gauche se reconstruit sur une base nouvelle : d’un côté, l’ordolibéralisme tel que le conçurent au XX° siècle des économistes allemands (dialogue entre le capital et le travail en vue d’un consensus social, liberté d’entreprendre, le tout sous l’égide d’un état démocratique arbitre et régulateur), de l’autre le social-libéralisme, forme moderne de la social-démocratie restée soucieuse de redistribution des richesses, mais libérée de l’obsession anticapitaliste dont les fiascos du XX° siècle ont tragiquement montré la part d’illusion.

Dans un monde que le progrès technique métamorphose à une prodigieuse vitesse, la vieille Europe a encore certainement beaucoup à apporter, mais il lui faut pour cela resserrer les rangs et renoncer à chercher des solutions dans les utopies du XIX° siècle, nationalisme ou collectivisme, qui furent un moment de l’histoire, mais que celle-ci a depuis longtemps dépassées au prix des désastres que furent les guerres mondiales, les idéologies génocidaires ou la tragique aventure du communisme.

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