Redoutables impasses.

La période est maussade. En plus des intempéries, un climat de confusion règne et même l’Euro de football ne suscite pas les habituels enthousiasmes.

Qu’a signifié cette pseudo agitation sociale qui a occupé pendant trois mois plus les médias que l’opinion? Récurrence quasi hebdomadaire de défilés de plus en plus clairsemés même si leurs organisateurs les regardaient avec des verres (très) grossissants. Prétendues grèves de masse qui, passées les paniques du début qui embouteillèrent les stations-service, n’ont guère concerné que les malheureux usagers du RER, pour qui ce genre d’événements est presque une habitude. Déclarations fracassantes et définitives ne produisant aucun effet. Et au final, un progressif étiolement dans l’indifférence générale avec, à l’horizon, la perspective des vacances et du Tour de France.

Peut-être ne convient-il pas de chercher un sens dans le rappel des revendications exprimées, (à commencer par la contestation de la très modeste loi El-Khomri), ni même dans les obscurs calculs tactiques des rivalités intersyndicales, mais plutôt d’en discerner un dans la manière dont tout cela a été conduit, de l’impéritie gouvernementale aux surenchères idéologiques que le langage et les attitudes révèlent.

Tout a été dit sur la fuite en avant de la CGT, confédération en déclin, idéologiquement orpheline depuis le grand naufrage communiste et qui n’a vu comme réplique à la montée des syndicats réformistes qu’un raidissement dans la contestation, ce qui l’a curieusement rapprochée de ses lointaines origines anarcho-syndicalistes d’il y a un siècle. En faisant bruyamment le choix du tout ou rien, la centrale de Philippe Martinez s’est non seulement promise à la défaite, mais elle a aussi signifié par son discours, du « blocage » au « retrait » en passant par « ne lâcher rien », un choix résolu de l’immobilisme et du statu-quo au moment même où s’amorce un bouleversement civilisationnel d’une ampleur inouïe. D’une manière étrangement symbolique, un cortège amaigri a même fini par tourner en rond!

Ce stupéfiant contresens historique est probablement rédhibitoire : Martinez aura bien du mal à convaincre ceux qui l’ont suivi (et dont les plus engagés auront perdu pour rien un mois de salaire) que ce mouvement s’est terminé en victoire. La gloire de la CGT semble bien maintenant derrière elle.

Cependant, aussi hétéroclites qu’aient été les rassemblements, on ne peut nier qu’il y a eu au départ mobilisation. Les enquêtes d’opinion ont même révélé que 60% des sondés approuvaient la mise en cause d’une loi dont la première ambition était pourtant de faire bouger les lignes, à l’image de tout ce qui avait réussi hors de nos frontières à faire reculer le chômage. Et c’est peut-être là ce qui interroge le plus : comment tant de Français ne comprennent-ils pas que si l’on veut sauver notre remarquable système social dans le contexte si nouveau qui s’annonce, il est extrêmement impératif de le réformer, car faute de le faire à temps, c’est dans sa totalité qu’il sera perdu. Les manifestants en avaient-ils conscience?

On est en droit d’en douter et on reste perplexe face à certaines déclarations. Dans « Le Monde » du 16 juin, une journaliste qui a couvert le défilé parisien du 14 interroge une participante qui (premier signe d’une certaine légèreté) est venue manifester avec ses enfants de 6 et 3 ans. « J’ai pris un congé de maladie pour venir manifester« , déclare-t-elle ingénument, ce qui en dit long sur la défense des droits sociaux que proclament les pancartes car, sauf à considérer la manifestation de la CGT comme une pathologie, on est en droit de s’étonner de la démarche et de s’interroger sur l’attitude du médecin qui l’a décrétée malade…Ce n’est certes qu’une anecdote, mais elle est révélatrice de ce qui est perçu comme une certaine normalité. Et que penser également de cette enquête qui révèle que 72% des électeurs potentiels du Front national approuvent le rejet de la loi sinon que ce dernier, loin d’être un acte réfléchi, n’est que le produit de l’ignorance et de la démagogie.

D’autre part, comment les dirigeants syndicaux de la CGT et de FO n’ont-ils pas mesuré que par leurs propos et leurs outrances, ils ouvraient grande la porte à des formes incontrôlables de violence? Les temps sont glauques : la fureur véhémente que sécrète le fanatisme, qu’il soit religieux ou politique, croise l’agressivité gratuite du hooliganisme des stades et les services d’ordre syndicaux, qu’on connut si efficaces il y a vingt ou trente ans, sont visiblement dépassés. Quelle boîte de Pandore a été là imprudemment ouverte et qui saura la refermer?

Face à un gouvernement déchiré par ses divisions et incapable de mettre en œuvre les mesures qu’impose la confrontation aux réalités, l’aveuglement idéologique et de médiocres calculs politiques sont peut-être en train d’enfanter des monstres.