Les clubs parlementaires, ces rencontres organisées par des lobbies

Cl86zg0WAAAlDcu.jpg largeLe terme « club parlementaire » désigne « des rencontres informelles organisées entre députés, sénateurs et professionnels sur des thèmes d’études, qu’il s’agisse de la défense, de la santé, de l’industrie agro-alimentaire, ou des transports… » (définition donnée par le rapport 2015 du Déontologue).

A la différence des groupes d’études, ces clubs n’ont aucune existence officielle pour l’Assemblée et ne sont pas rattachés au Parlement. Surtout, ils sont pour la plupart organisés par des entreprises de lobbying.

La régulation des clubs parlementaires est un serpent de mer, déjà évoqué par le premier Déontologue de l’Assemblée nationale. L’actuel titulaire du poste avait lui aussi traité le sujet dans son dernier rapport. Entre les lignes, on comprend qu’il a bien du mal à réguler ces clubs avec les outils existants.

Le Président de l’Assemblée Claude Bartolone a donc saisi la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) en octobre dernier. Celle-ci vient de remettre ses propositions.

On apprend dans son rapport qu’au moins 41 clubs parlementaires ont pu être recensés. Parmi eux, 31 sont organisés par des sociétés de lobbying (dont 22 par une même société) ; du « Club du deux roues motorisés », au « Club bois et forêts », en passant par le « Club des amis du cochon », il y en a pour tous les sujets.

Les 10 autres clubs ont été créés en dehors des sociétés de lobbying, souvent par des associations ou des fédérations. On y trouve le très ancien « Club des parlementaires amateurs de havane », créé par André Santini, ou encore le très efficace « Club des parlementaires pour le vélo ».

La HATVP fait surtout 10 propositions qui, en réalité, demandent pour la plupart une meilleure application du droit existant (mention de la présidence d’un club dans la déclaration d’intérêt, déclaration des avantages reçus, non-utilisation des moyens de l’Assemblée…) et une meilleure information des parlementaires (sources de financements, coût des invitations…).

Elle recommande de renforcer les obligations déontologiques applicables aux organisateurs des clubs, en s’appuyant sur le registre créé par la future loi Sapin 2 – même si on en revient toujours au même : il faudrait pour cela que les organisateurs s’inscrivent bien sur le registre.

Loin d’être anecdotique, la proposition d’interdire l’utilisation du terme « parlementaire » est clé. Car ce qui fait surtout tiquer certains, c’est l’utilisation ambiguë de ce terme, qui donne à ces clubs un caractère officiel qu’ils n’ont pas, si ce n’est qu’ils sont généralement présidés par des parlementaires.

La HATVP avance également l’interdiction de réunion de ces clubs dans l’enceinte du Parlement. Comme le précisait le Déontologue, l’article 23 du Règlement interdit « la réunion dans l’enceinte du Palais, de groupements permanents (…) tendant à la défense d’intérêts particuliers, locaux ou professionnels et entraînant pour leurs membres l’acceptation d’un mandat impératif« . Mais cette interdiction (théorique) se heurte à la liberté de réunion des parlementaires. Sur le papier, elle semble aussi très restreinte, du fait de la référence au mandat impératif.

Par ailleurs, la Haute Autorité propose d’interdire la domiciliation de ces clubs dans l’Assemblée (ce qui concerne ceux non-créés par des sociétés de lobbying). Précisons que certains collaborateurs parlementaires gèrent de tels clubs, en complément de leur emploi à temps partiel. La HATVP aimerait interdire ce cumul d’activité, tout en précisant que cela reste soumis à une réflexion d’ensemble sur le statut des collaborateurs, dont les situations sont très diverses.

Le Bureau de l’Assemblée a repris la plupart de ces propositions lors de sa réunion du 13 juillet. Sans surprise, il a ainsi décidé de renforcer les obligations des lobbyistes : information sur les sources de financement des clubs et sur le montant des invitations, interdiction de réunion dans l’enceinte, et interdiction d’adosser le terme « parlementaire » (interdiction qui semble ne concerner que les 31 clubs rattachés à des représentants d’intérêts). Ces nouvelles règles seront intégrées au code de conduite créé en 2013 et donc applicables uniquement aux inscrits sur le registre de l’Assemblée (par chance, toutes les sociétés ayant créé un club y sont)… elles seront sans doute reprises pour le registre unique version « Sapin 2″, lorsqu’il sera créé.

Une des propositions de la HATVP n’a pas été évoquée, mais mérite qu’on s’y arrête : la dernière. Car interdire les réunions à l’intérieur du Palais Bourbon et retirer le mot « parlementaire » ne freinera sans doute pas l’attractivité des clubs. Pour cause, leur intérêt est de disposer de moyens financiers et de la logistique apportée par les lobbyistes, et donc de pouvoir organiser des déjeuners, dîners-débats et autres colloques. Ces événements permettent aux lobbyistes d’approcher les parlementaires et de faire passer leur message, mais également à ces derniers de recueillir des informations en rencontrant les professionnels de façon informelle.

Les groupes d’études ne disposent pas de tels moyens. La HATVP invite donc à lancer une réflexion « sur le nombre et les moyens de ces groupes et sur les possibilités d’accroitre le nombre de manifestations organisées par les assemblées« .

Plus qu’une simple mise à distance (physique et sémantique) des clubs – qui était l’objectif de Claude Bartolone -, cette proposition a le mérite de distinguer la fonction de « débat et dialogue avec la société civile » de celle de « lobbying », inhérentes aux clubs parlementaires… en invitant le Parlement à se réapproprier la première, par le biais des groupes d’études.