Madame, vous nous plongez dans l’ennui, les tourments, les affres. Nous ne savons à présent sur quel pied danser : quel sortilège vous guide à nous mener en bateau, nous faire grimper aux rideaux, à souffler tantôt le chaud, tantôt le froid ?
A défaut de saisir votre décision de faire à nouveau de votre Saint-Empire une forteresse, tout après avoir grand ouvert les portes de ce manège enchanté à des réfugiés d’Assyrie qui fuient la guerre, nous avons pris la plume dans le dessein de vous enjoindre de cesser de nous ridiculiser, nous, roi de France, gravement offensé par les propos que vous tîntes, Madame, à notre égard.
Notre chancellerie de Berlin nous rapporta que vous vous montrâtes déçue lorsque nous tordîmes le nez à l’idée d’offrir l’asile à ces pauvres hères, ballottés dans les Balkans, pourchassés par les sbires d’Orban Ier, roitelet du Danube.
« Quiche »
Madame, nous nous devons de vous confesser que vous jouez avec nos nerfs et que la liste des griefs que nous nourrissons à votre encontre est aussi dense que celle des courses.
Il nous fut relaté qu’entre autres amabilités, vous osâtes, Madame, nous traiter de « quiche ». Voici qui nous reste en travers la gorge. Que vous dénonçâtes notre veulerie, que vous vous gaussâtes du peu de cas que nous faisons à présent de l’esprit du onze janvier, notre doxa du dimanche, dont vous mandez à l’envi qu’elle a sombré aussi promptement que les galères où s’entassent par milliers des réfugiés voués au naufrage : nous vous absolvons.
Cependant, Madame, souffrez que nous vous alertions sur le fait que nous ne pouvons plus tolérer que vous vous abaissiez une fois encore à nous donner des leçons.
Jadis, au commencement de notre règne, vous refusâtes le plus énergiquement du monde de renégocier les traités sur le montant pharaonique de notre dette, vous ne cachâtes point lepeu de considération que vous nous portiez. En nous congédiant comme d’impertinents laquais. Nous en conçûmes forte amertume.
Soupe de patates
Nous dissimulâmes néanmoins la moindre once de jalousie et de ressentiment lorsque nous apprîmes que vous aviez convié le roi d’Angleterre, David le Joufflu, en votre résidence privée de la petite cité médiévale de Templin, sise au nord de Berlin. Nous nous étranglâmes lorsqu’une indiscrétion vint à nos oreilles, nous soufflant que vous confectionnâtes des tartes pour les enfants de ce maudit Rosbif qui se déclara, quel faux cul, enchanté de savourer votre plat fétiche, une soupe de pommes de terre. Se peut-on de faire son content d’une soupe de patates, sauf à être aussi hypocrite et perfide, ainsi que le sont tous les enfants d’Albion.
Casque à pointe
Madame, nous avons compris quel jeu diabolique vous vous êtes prise de mener dans cette crise des réfugiés. Nous vous avons percé à jour. Cette question vous tenait à cœur parce qu’elle vous offrait de vous montrer sous un jour autrement plus tendre que cette effigie qui vous fut peinte durant la crise grecque : l’on vous vit adornée d’un casque à pointe, symbole de l’autocratie bismarckienne que vous incarnâtes à plaisir lorsqu’il vous vint de faire passer Monsieur Tsipras sous les fourches caudines de vos ukases.
Madame, puisque le moment est aux griefs, confessons que nous vous jalousons. Vos sujets vous vénèrent, les nôtres nous détestent. Il se mande à Berlin, en votre moderne palais blanc que vos commensaux surnomment « la machine à laver », que vous avez pour dessein de monter sur le trône pour une quatrième fois, et que nulle âme qui vive ne semble prête à contrarier cette entreprise.
Nous-même caressons ce souhait, mais nous nous devons de convenir que les astres sont bien mal aspectés et qu’il se pourrait que nous renoncions à faire une fois encore don de notre personne à la France. Pluton nous fait la gueule, Mars est au bistrot et Jupiter tape une belote.
Cet échec serait votre faute, Madame. Pour l’Eternité, nous saurons nous souvenir que vous nous imposâtes une austérité qui nous mit dans le pastis et ruina l’amour que nous portaient nos sujets lorsque nous succédâmes au Bref qui, lui, se vantait de mériter vos faveurs en vous offrant des fromages.
Votre ange noir, le comte Schaüble, ce Dracula de coffre fort, votre vice-roi Gabriel, ce traitre si mal nommé, ce doryphore de la social-démocratie, nous vouent aux gémonies, moquant à l’envi notre politique de garçons de bain.
« Quatsch! »
Vous-même, Madame, avez ces mots tout pétris de morgue : « Ach, Quatsch ! » – Sornettes.
Madame, vous n’avez de cesse de nous humilier : notre propres sujets, ces gueux, ces faquins, ces maroufles, osèrent récemment confesser qu’ils auraient fait de vous une reine de France, plus à même que nous, roi de France, de sauver notre royaume du pétrin dans lequel nous nous sommes fourré.
Madame, vous nous humiliez encore, nous, roi de France, en pérorant sur le sort de ces réfugiés d’Assyrie qui ne bousculent pas au portillon pour s’en venir s’inscrire à Pôle emploi. Quelle amère leçon ! Nous qui avons tant atermoyé, procrastiné et tourné autour du pot, ainsi que nous plaisons à le faire.
Nous nous devons cependant de vous tresser une mince couronne : vous avez su, Madame, avec un talent consommé, semer la zizanie en notre royaume lorsque vous décidâtes d’ouvrir grand votre cœur à ces misérables. Nous même restâmes sur le cul, tout ainsi que Monsieur de Sarcosie, votre ancien chouchou.
Cependant, Madame, souffrez que nous tempérions ce petit compliment : cet art de mettre le boxon est à la portée du premier venu en nos frontières. Nous même, pourtant gourd à la manœuvre, réussissons à merveille.
Grosse Bertha
Et lorsque l’idée vous pressa de fermer les portes de votre Saint-Empire, nulle voix ne manqua pour s’en éjouir. Le Bref plastronna aussi sec. Nous vous caftons ses propos : « Elle s’est plantée, la grosse Bertha ! ».
Convenons néanmoins que nous gourâmes tout autant sur vos intentions en croyant que vous craigniez être débordée par l’afflux de ces migrants martyrisés.
Vous celiez une carte en votre manche, et vous n’hésitâtes point à l’abattre. Vous menaçâtes les royaumes qui renâcleraient à preuve d’humanité de sanctions financières. Et convoquâtes un sommet des têtes couronnées à des fins de les presser de trouver une solution.
Madame, la coupe de notre ressentiment est pleine : nous sommes las de cette sujétion qui nous contraint d’obéir sans moufter à vos diktats. Nous sommes las de subir à l’infini l’humiliant supplice de la fessée déculottée.