Ministre emblmatique du prsident socialiste, Jack Lang signe le Dictionnaire amoureux de Franois Mitterrand, et assume son admiration indfectible.
Qu’est-ce qu’être « amoureux » de François Mitterrand?
Dans mon cas, il s’agit d’affection profonde, d’admiration et de gratitude, un peu comme on se dit « amoureux » d’un auteur. Mon dictionnaire n’est ni exhaustif ni impartial, mais subjectif, sentimental et analytique.
Pourquoi n’y a-t-il pas d’entrée « Cour » à propos d’un « monarque » comme Mitterrand?
Certes… Après une émission de télévision ou la prise d’une décision importante, il aimait être entouré de quelques flagorneurs qui devaient le rassurer par leur enthousiasme… Mais cela ne l’a jamais vraiment influencé.
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Quel enthousiasme pour le surnom « Tonton », « trouvaille politiquement géniale »! Pourquoi?
Le tonton est un adulte complice, à qui l’on peut se confier, loin de l’autorité du père. Cela définit bien la relation de Mitterrand avec les jeunes, qui lui permet, avant 1988, de « remettre du rouge dans le rose ». Aujourd’hui, il y a comme une nostalgie…
Il avait pourtant raté Mai 1968…
Oui, et notre approche mutuelle en a été ralentie quand nous avons fait connaissance, en 1974, car il se méfiait de tout ce qui lui semblait soixante-huitard. Lors d’un déplacement dans le Larzac, il avait failli être écharpé par la foule. Je crois même que ses sauveurs furent des proches de José Bové!
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Pourquoi consacrer un article à la « confiance »?
Parce qu’il ne l’accordait pas facilement, que c’était un processus lent et fragile. Et que parfois il pouvait l’offrir trop vite. Je me souviens de quelques cas où il succomba à des flatteurs et se sentit vite dupé. La confiance est une des clefs psychologiques de Mitterrand.
En est-il de même pour son amour de jeunesse, Marie-Louise Terrasse, la future speakerine Catherine Langeais, que vous classez à la lettre B, comme « Béatrice »?
Il avait appelé ainsi, en hommage à l’amoureuse idéalisée de Dante, une jeune fille de 15 ans rencontrée le 28 janvier 1938, au bal de Normale sup. Il lui a écrit 2000 lettres en quatre ans, que j’ai lues quand Catherine Langeais les a confiées à ma fille Caroline. D’une écriture élégante, elles composent de magnifiques variations sur une femme aimée, qui nous renseignent aussi sur Mitterrand, dont le message récurrent est: « Ma liberté est la chose à laquelle je tiens le plus. Personne ne me régentera, sauf vous… »
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Aurait-il préféré être un grand écrivain qu’un politique?
Je n’en suis pas sûr. De Gaulle aima s’héroïser dans ses Mémoires, se mettre en scène par l’écrit. Mitterrand laissait ce soin à d’autres.
A la lettre A, on trouve « Algérie », mais pas « Afrique »…
Mitterrand, comme Mendès, était haï des colonialistes, qui le traitaient de « bradeur d’empire ». En 1953, il démissionne du gouvernement Laniel quand on dépose le sultan du Maroc [NDLR: futur roi Mohamed V). Je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas fait de même sous Guy Mollet, à propos de l’Algérie et de la justice militaire. Il m’a répondu: « Je ne pouvais pas démissionner tous les quatre matins! »
Etre « amoureux », n’est-ce pas l’exempter avec indulgence, comme vous le faites, du faux attentat de l’Observatoire?
Je suis persuadé qu’il n’a pas monté ce coup foireux. Naïf, il pouvait l’être, mais pas tordu à ce point. Cette affaire lui a peut-être donné la force nécessaire à la conquête du pouvoir, mais elle l’a aussi mené au bord du suicide.
Dictionnaire amoureux de François Mitterrand, par Jack Lang. Plon, 455p., 21€.