Le syndrome Tsipras.

Rien de tel que l’épreuve du pouvoir pour mesurer la crédibilité des mouvements politiques adeptes de solutions radicales. En leur confiant le volant, la société civile mesure leur capacité à mieux conduire sur une route difficile : le test est infaillible. Il l’est même tellement qu’au vu d’expériences récentes, il n’est pas certain que les divers « alter » prodigues en propositions renversantes soient soudain si pressés de les mettre à exécution.

L’exemple grec a-t-il porté ses fruits et défini une sorte de syndrome Tsipras? Qu’on se souvienne, il y a juste un an, la victoire électorale de Syriza était présentée comme l’annonce d’un bouleversement, les exigences européennes consécutives à la gabegie financière en Grèce allaient être non seulement contestées, mais les nouveaux dirigeants grecs allaient, par leur action déterminée, « renverser la table » et imposer des règles nouvelles. Alexis Tsipras devenait le héros des « gauches de gauche », pour un peu, c’était le début de « la lutte finale »…

Certes, pendant plusieurs mois, nous avons eu droit à un festival de politique-spectacle à Bruxelles, les délégués ostensiblement sans cravate, le ministre Varoufakis, sa grosse moto et ses foucades, les déclarations définitives suivies de négociations ressemblant à un dialogue de sourds et Tsipras a fini par se faire plébisciter chez lui par un référendum qui lui laissait pratiquement les mains libres.

C’est alors que tout a basculé et de concession en concession, Alexis Tsipras a fini par mettre en oeuvre les mesures qu’il avait naguère dénoncées avec véhémence. Certes, il y a eu quelques remous, mais moins qu’aurait pu le laisser supposer un tel retournement, comme si l’opinion grecque se réveillait de la sorte de transe hypnotique qui lui avait fait croire que le programme que proposait Syriza était vraiment possible. Parvenu au pouvoir, Tsipras a découvert ce que Jacques Prévert nommait « les terrifiants pépins de la réalité », que nul discours idéologique n’escamote comme par enchantement. Il le reconnaissait implicitement le 24 janvier 2016 face à 4000 militants de Syriza célébrant le premier anniversaire de leur gouvernement : « Le changement ne vient pas avec la théorie des livres mais dans l’action quotidienne ». Au vu de ce qu’est cette dernière, il est difficile de parler de succès.

Est-ce que cela n’aurait pas rendu circonspects les émules de Syriza? En Espagne, le mouvement « Podemos » se déclare sur la même ligne, sa dénomination même (« nous pouvons ») laisse entendre que tout ça est affaire de volonté, comme le dit l’adage « si l’on veut, l’on peut » Oui, mais c’est un adage et sans même invoquer l’histoire, l’expérience quotidienne montre qu’il est plus facile de régler les questions quand on n’est pas en charge de responsabilité que d’apporter une solution quand on se trouve aux commandes. Surtout si l’on a promis de tout transformer et de bouleverser intégralement la donne. N’est-ce pas précisément un homme décidé à changer le monde, Lénine, qui a reconnu que « les faits sont têtus »?

Alors, quand exaltés par des envolées de tribune qui leur ont donné l’espoir de voir leurs problèmes résolus, les électeurs promeuvent un mouvement radical et le mettent soudainement en état d’agir concrètement, un doute assaille peut-être ses dirigeants et cette hypothèse expliquerait alors l’actuelle équation espagnole.

Suite aux élections du 20 décembre 2015, aucun grand parti n’a obtenu une majorité absolue et Podemos a fait entrer 69 députés, de quoi jouer les arbitres. Le chef du gouvernement sortant de droite libérale, Mariano Rajoy, a envisagé une coalition avec les centristes et le parti socialiste espagnol (PSOE). Ce dernier ayant refusé, Rajoy a renoncé. C’est alors que le leader de Podemos, Pablo Iglesias, a proposé aux socialistes une combinaison les associant dans une coalition de gauche apparemment viable. Mais il a assorti cette offre d’exigences telles (une vice-présidence pour lui-même et quatre ministères-clés) que de toute évidence, le PSOE ne pouvait accepter. Cela ressemble fort à une manœuvre visant à se faire récuser par l’autre et à échapper ainsi de facto à une prise de responsabilité concrète, ce qui s’appelle en d’autres termes une dérobade. Podemos va ainsi se retrouver dans le confort d’une attitude d’opposition autorisant les options radicales, ce qui lui évitera évidemment d’avoir à cautionner, tel Tsipras en Grèce, des décisions absolument contraires à ce qu’il prônait en campagne.

Parfait, mais l’exercice n’est pas sans risque. Il ne reste aux partis espagnols que l’alternative d’une incertaine coalition socialistes-centristes. Si elle ne fonctionne pas d’ici début avril, il y aura de nouvelles élections et si Podemos est demeuré fidèle à sa même ligne radicale, rien ne dit qu’il ne gagnera pas de nouveaux électeurs et qu’il ne risquera pas de se trouver alors en situation de gouverner. Iglesias ne deviendrait-il pas alors un second Tsipras?

A vrai dire, il n’est pas que les promoteurs des solutions les plus radicales à devoir se soucier de la confrontation au réel. La tentation est grande de promettre un avenir radieux et le grand changement quand on est dans l’opposition. Relisons le discours du Bourget du candidat Hollande en 2012 ; réécoutons la célèbre anaphore « Moi, président », qui laissa face aux téléspectateurs son compétiteur éberlué ; comparons à ce qu’a été (et à ce que va être) la politique réellement conduite par le président Hollande.

Mais là, le syndrome Tsipras est parfaitement assumé, l’intéressé n’a ni à s’excuser, ni moins encore à se dérober : à la rigueur, il pourra dire « vous m’aviez mal compris ». Il semble même avoir l’intention de solliciter un second mandat.

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