La fin des parlementaires en mission?

On a déjà évoqué plusieurs fois le cas des parlementaires en mission. Ce système permet au gouvernement de charger un ou plusieurs parlementaires d’un sujet particulier pendant 6 mois, dans le but de lui de fournir un rapport et des propositions.

Actuellement, deux parlementaires ont ainsi été nommés sur la question de la « pratique d’une activité physique et sportive pour les élèves et les étudiants », deux autres sur les compétitions de jeux vidéo (dont les nouvelles règles viennent d’être votées dans la loi Numérique), le député Philippe Folliot s’occupe de Clipperton,…

Il est même arrivé des cas rares où les parlementaires en mission étaient utilisés par le gouvernement pour tout autre chose. Ainsi, le député Christian Nucci avait été désigné parlementaire en mission pour s’occuper du Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie en 1981.

Le parlementaire y voit un avantage : il peut travailler librement sur un sujet et a à sa disposition quelques maigres moyens, notamment l’appui d’un haut-fonctionnaire (rappelons que ces missions sont bénévoles pour l’élu). Le gouvernement lui y voit une bonne occasion de récompenser un parlementaire et parfois le moyen de déminer un sujet, sans qu’il soit, lui, impliqué directement.

La loi organique prévoit spécifiquement ces missions, qui ne peuvent durer plus de 6 mois, sauf décret spécial du Premier Ministre. C’est même un des rares cas où les députés peuvent déléguer leur vote.

Quand les parlementaires en mission ont été remis en place, avec la Vème République, il s’agissait de mieux associer les parlementaires au travail gouvernemental. S’il existe une limite de 6 mois, c’est qu’on considère qu’au-delà, le parlementaire deviendrait un véritable associé du gouvernement. Il devra donc choisir entre sa mission et son mandat parlementaire. Et s’il démissionne de son mandat, il laisse la place à son suppléant.

Nos lecteurs à l’esprit le plus retord voient immédiatement deux failles dans ce dispositif. Failles qui ont donc été immédiatement exploitées par tous les gouvernements :

1° Les députés en mission étant presque les seuls à pouvoir déléguer leur vote, le groupe majoritaire peut les utiliser en cas de majorité serrée pour gagner un scrutin public. C’est ce qui a notamment été fait récemment pour faire battre une proposition de loi du groupe Ecolo sur les langues régionales.

2° Ces missions, lorsqu’elles sont prolongées pour plus de 6 mois, permettent d’exfiltrer un député et de le remplacer par son suppléant. Cela permet d’éviter une élection partielle, qui est toujours un moment inconfortable pour une majorité impopulaire. C’est ce qui a été fait concernant François Brottes (dont on attend toujours les conclusions sur « la sécurité d’approvisionnement en électricité ») et Sandrine Hurel (qui était chargée d’un rapport sur la politique de vaccination). La manœuvre avait été tentée concernant Pierre Moscovici, mais avait piteusement échoué, à trois jours près.

Toutes ces bonnes et mauvaises raisons, ont conduit le gouvernement à multiplier ces missions :

Missions confiées à 1997-2002 2002-2007 2007-2012 2012-2015
un député 71 76 77 76
un sénateur 5 32 36 24
Total 76 108 113 100
source : Commission des Lois du Sénat

Le Sénat s’est saisi du sujet, avec une proposition de loi de Jacques Mézard, étudiée à la demande du groupe radical. En effet, outre les abus précédemment évoqués, ces missions posent d’autres problèmes. D’abord, le Parlement dispose de suffisamment de moyens humains et de pouvoirs d’enquête pour faire lui-même ces rapports. D’autant que le parlementaire en mission, exerçant ses pouvoirs hors du cadre parlementaire, ne bénéficie pas des pouvoirs spéciaux dont dispose un parlementaire lambda dans ses missions de contrôle (dans les années 80, un député avait ainsi été poursuivi en diffamation par la Scientologie pour un rapport remis au gouvernement).

De plus, si cela est utile, rien n’interdirait à un gouvernement de demander, de manière moins formelle, un rapport à un parlementaire. Ce ne sont en effet que les dispositions électorales (suppléance, délégation de vote) qui sont supprimées par la proposition de loi radicale.

Enfin, le Parlement n’est pas au service du gouvernement, comme le laissent penser ces missions. S’il est plus qu’indispensable que le Parlement anticipe mieux les projets de loi (qu’il doit parfois étudier dans des délais très brefs), il peut le faire lui-même. Il serait même nécessaire qu’au-delà de ses missions constitutionnelles de contrôle du gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, il prépare mieux les réformes législatives à venir, en confiant de telles missions aux futurs rapporteurs, avant même le dépôt des projets de loi.

Les groupes disposent déjà de la possibilité de créer des commissions d’enquête et des missions d’information (qui sont collectives). On pourrait imaginer des « droits de tirage » pour chaque groupe, afin de nomment des parlementaires en mission sur tel ou tel sujet, qui disposeraient ainsi de l’appui indispensable des administrateurs. Du reste, certaines commissions le font déjà, avec un réel succès. Quand le Parlement veut travailler les réformes à venir, il n’a pas besoin d’autorisation gouvernementale.