Ce lundi, Nicolas Sarkozy s’est dit prêt à retoucher la loi fondamentale pour pouvoir interdire le burkini. Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de la Ve République, en 1958, peu de présidents ont résisté à l’envie de la modifier.
François Hollande s’y est cassé les dents, mais Nicolas Sarkozy l’envisage déjà. Ce lundi, l’ex-chef de l’Etat, qui aspire à la redevenir, s’est dit prêt à réviser la Constitution pour pouvoir interdire le burkini, ce maillot de bain islamique qui fait polémique depuis plusieurs semaines.
Après l’invalidation d’un arrêté jugé « liberticide » par le Conseil d’Etat, Nicolas Sarkozy est bien conscient qu’une loi aurait de grandes chances d’être retoquée par le Conseil constitutionnel. Le candidat LR appelle donc ce lundi, avec plusieurs cadres du parti Les Républicains, à modifier directement la loi fondamentale.
24 révisions en 57 ans
Ce n’est pas le premier à vouloir le faire, ni le dernier. Depuis le début de la Ve République, en 1958, un seul président aura résisté à la tentation d’y apporter sa patte: Georges Pompidou. Mais pourquoi veulent-ils donc modifier ce texte, plutôt que de passer par la voie législative classique?
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Il y a au moins deux raisons à cela. L’une objective, l’autre subjective, explique à L’Express Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille. « Il y a une nécessité d’adapter le texte aux évolutions démocratiques [L’instauration du quinquennat en 2000, la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs en 2008, etc]. Si la Constitution de 1958 est toujours en vigueur, c’est qu’elle a su se moderniser », explique-t-il.
Dans la même veine, un certain nombre de modifications de la Constitution ont été faites pour accorder le texte avec un certain nombre d’impératifs internationaux. « C’est le cas en février 2008, lors de la ratification du traité de Lisbonne qui a nécessité une modification de la Constitution. » Une modification qui s’est faite sans trop de heurts.
La volonté de laisser son empreinte
Mais entre vouloir moderniser les institutions, adapter des textes européens et y faire inscrire l’interdiction du burkini, il y un écart. C’est l’autre explication avancée par le constitutionnaliste: nombreux sont les présidents, ou futurs présidents, à vouloir marquer le texte « de leur empreinte », explique le constitutionnaliste. Car pour modifier la Constitution, contrairement aux lois « classiques », il faut respecter une procédure sinueuse et exigeante. Toute retouche est quasiment « gravée dans le marbre ».
« François Mitterrand l’a modifiée pour s’ouvrir à l’Europe, Jacques Chirac pour changer le statut juridictionnel du chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy pour créer notamment la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), etc. Chaque président, par ailleurs gardien de la Constitution, veut y mettre sa patte », assure Jean-Philippe Derosier. Et la modification voulue par Nicolas Sarkozy, qui aspire à réintégrer l’Elysée, correspond aux thématiques qu’il développe depuis plusieurs années et qu’il a rappelées dans son livre de candidature Tout pour la France (Plon): la sécurité, l’autorité… et l’identité.
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Une utilisation politique très critiquée
Une telle volonté de modifier la Constitution passe cependant mal auprès de plusieurs experts contactés par L’Express. « Il y a eu une dévalorisation de la loi ‘classique’ compte tenu qu’on a fait, à une époque, une loi pour un fait divers », explique en « off » un spécialiste de la Constitution. Le nom de Nicolas Sarkozy n’est pas évoqué, mais la critique est transparente vis-à-vis de l’ancien chef de l’Etat qui a souvent été accusé de réagir à un crime médiatique par la voie législative, comme le soulignait Le Monde en 2011.
« La Constitution pose des principes. Elle n’est pas là pour régler des micro-questions, assène ce spécialiste qui voit là une réponse inadaptée à une question posée. Il faut d’abord réfléchir à une loi. L’étape qui consiste à vouloir modifier la Constitution vient après. »
« On ne peut pas faire de la Constitution un recours politique, s’alarme de son côté Jean-Philippe Derosier. Ceux qui s’y risquent se prennent souvent un retour de bâton. » Il suffit de regarder ce qu’est devenue la révision constitutionnelle voulue par François Hollande pour s’en convaincre: après les attentats du 13 novembre, il a proposé d’étendre la déchéance de nationalité. Faute de majorité au Parlement, et après des mois de débats mortifères, il a dû enterrer sa réforme. Si le geste politique est fort et inscrira son auteur dans l’Histoire, la réussite est loin d’être assurée.