Le profil de Larossi Abballa, qui avait été condamné à trois de prison en 2013 pour son implication dans une filière djihadiste, rappelle celui d’autres terroristes. Experts et politiques se penchent sur le traitement de la récidive, un défi complexe.
Chérif Kouachi, Amedy Coulibaly et désormais Larossi Abballa. De nombreuses personnes, impliquées dans la vague d’attentats djihadistes qui touchent la France depuis 2015, étaient déjà passé par la case prison dans le passé pour leur implication dans une entreprise terroriste. Elles étaient censées avoir payé leur dû à la société. Ce qui ne les a pas empêchés de récidiver, à la barbe des autorités, une fois libérées, à l’image de Larossi Abballa. Les écoutes téléphoniques depuis mars 2016 n’ont pas permis de déceler son projet terroriste.
Pris en étau entre respect de l’état de droit et impératif d’ordre public, les pouvoirs publics, sont face à un casse-tête. Et la situation risque de devenir de plus en plus critique à mesure que les djihadistes viennent remplir les prisons françaises.
Pour les Républicains, des centres de rétention administrative
Depuis 2012, le secrétaire général adjoint des Républicains, Eric Ciotti, préconise de créer des centres de rétention administrative. Une partie d’entre eux accueillerait des « fichés S », susceptibles de passer à l’acte, et d’autres centres, des personnes qui ont purgé leur peine pour terrorisme mais représenteraient toujours un danger pour la société. Comme modèle, le député des Alpes-Maritimes se base sur la rétention de sûreté qui permet le placement en rétention socio-médico-judiciaire, à l’issue de leur peine, de criminels souffrant d’un trouble grave de la personnalité et présentant une particulière dangerosité.
« Pour des profils au risque plus faible, il faut prévoir des bracelets géolocalisables », préconise Eric Ciotti qui reconnaît toutefois « plusieurs difficultés ». Déterminer qui relève de profils dangereux ou non en matière djihadiste reste « plus difficile qu’une simple consultation médicale » pour profils psychiques instables, notamment en matière d’infractions sexuelles.
« Cela s’appelle une dictature »
Ce qui ne va pas sans créer de problèmes juridiques. Le député avoue que « cela nécessite une modification de la Constitution », dont l’article 66 prévoit que « nul ne peut être arbitrairement détenu ». La proposition, soumise en novembre 2015 au vote des adhérents des Républicains, avait été approuvée à 97,28%.
« C’est irréaliste, réagit vivement Céline Parisot, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats (USM). J’attends de savoir sur quels fondements objectifs Eric Ciotti se base pour décider qui doit être placé en rétention ou non. La justice se base sur des faits et non sur une dangerosité supposée. Sinon, cela s’appelle une dictature. » La magistrate estime en outre qu’un bracelet électronique permanent ne serait pas validée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Quant à un « suivi permanent en sortie de peine » tels que préconisé par David Bénichou, ancien vice-président chargé de l’instruction au pôle antiterroriste de Paris, dans son livre Le jihadisme (Plon), Céline Parisot pointe « le manque de moyens majeurs » auquel la justice est actuellement confrontée. Un suivi est d’ores et déjà censé être assuré par les services d’insertion et de probation. « Durant sa période de probation, aucun incident n’a eu lieu », a d’ailleurs souligné ce mardi le procureur de la République de Paris au sujet de Larossi Abballa.
« Aucun système infaillible »
Fataliste, Céline Parisot conclut: « L’époque du zéro drame n’a jamais existé et n’existera jamais. Il faut vivre avec. » Des propos proches de ceux de Manuel Valls, qui a déclaré ce mardi qu’il « n’y a malheureusement aucun risque zéro » et qui a dit « refuser toute tentation de recourir aux aventures extrajudiciaires ».
« Il n’y a aucun système infaillible », abonde la sénatrice (UDI) Nathalie Goulet qui a présidé la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes en France. Pour autant, l’élue se dit favorable à la mise en place d’un « sas de sortie » qui, sur plusieurs mois, évaluerait l’évolution mentale des détenus. « Il faut prévoir une peine accessoire, pour les détenus considérés comme inaptes à réintégrer la société, qui consisterait en des mesures d’intérêt général ou de réintroduction à la société en milieu fermé ou semi-fermé », préconise-t-elle.
La sénatrice prend comme modèle la prison d’al-Ha’ir, en Arabie saoudite, où les djihadistes sont soumis à intervalles réguliers à une batterie de plus de 600 questions. Leurs réponses sont analysées par une armée d’experts et de psychologues. « Ces outils permettent de déceler la Taqiya, la « dissimulation » qui autorise les partisans du djihad à se fondre dans la masse pour cacher leurs desseins terroristes. Une solution proche des unités dédiées à la déradicalisation, créées en janvier 2016 et testées dans une poignée de prisons. « Il faut professionnaliser la déradicalisation et généraliser les programmes à l’ensemble des prisons », précise Nathalie Goulet qui prévient: « Il y aura des ratés. »
Vers l’alourdissement des peines
Pour Farhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’EHESS et spécialiste de la radicalisation, « la France va aller vraisemblablement » vers un système à l’américaine dans lequel les peines de prison pour terrorisme seront systématiquement beaucoup plus longues qu’aujourd’hui. « Si les peines sont très lourdes, avec vingt ou vingt-cinq ans de prison, la capacité d’action du détenu à la sortie sera diminuée », souligne le chercheur.
Selon lui, les psychiatres, chargés de déterminer aujourd’hui la dangerosité des détenus pour terrorisme, « s’impliquent moins en raison des zones d’indétermination ». En clair: il devient difficile pour ces professionnels d’engager leurs responsabilités sur le degré de sincérité d’apparents repentis. « La majorité des djihadistes ne présentent pas de profils psycho-pathologiques évidents. » D’où la solution, qui pose « le moins de difficultés à mettre en oeuvre », d’alourdir les peines même si elle ne va pas « sans poser des questions éthiques ». Mais dans le contexte actuel, « personne n’oserait voter contre au Parlement ».