Comptable du bilan de François Hollande, l’ancien Premier ministre revendique un « droit à l’inventivité » dans la campagne. Mais ses multiples revirements sèment le trouble.
Il y a un paradoxe Valls. Favori des sondages -une enquête Harris Interactive pour France Télévisions lui accorde 43% d’intentions de vote au premier tour de la primaire à gauche- l’ancien Premier ministre peine à convaincre en ce début d’année. Alors que Benoît Hamon a placé son projet de création d’un revenu universel au coeur du débat, Manuel Valls est face à une délicate équation: assumer le bilan du quinquennat écoulé tout en portant un projet d’avenir. Se réinventer après cinq années passées au coeur du pouvoir.
Invité jeudi de L’Emission politique, l’ancien maire d’Evry n’a convaincu que 29% des Français et 45% des sympathisants de gauche. Un score inférieur à celui d’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, invités avant lui. Comment expliquer ce trou d’air de l’ex-chef de gouvernement? L’Express fait le point sur les difficultés du candidat Valls.
Le passage difficile de Premier ministre à candidat
Manuel Valls traîne un boulet. Le candidat a été au coeur du quinquennat écoulé, comme ministre de l’Intérieur puis comme chef de gouvernement. Il doit désormais réussir à passer du statut de Premier ministre à candidat sans la moindre transition. La tâche est historiquement difficile. Placés dans cette situation en 1988 et 1995, Jacques Chirac et Edouard Balladur ont tous les deux échoué à conquérir l’Elysée.
Le cas de Manuel Valls est encore plus délicat. Le candidat est comptable d’un quinquennat massivement décrié par les Français, et se retrouve dans l’obligation d’en revendiquer le bilan sous peine de perdre toute crédibilité. « Mais si ce bilan est si bon, pourquoi François Hollande ne se représente pas? », ironise auprès de L’Express le député socialiste Christian Paul, coordinateur de la campagne d’Arnaud Montebourg.
Conscient de cet écueil, l’intéressé a revendiqué mardi un « droit à l’inventivité », à l’occasion de la présentation de son programme. Difficile, tant le candidat est en permanence ramené à son action à la tête de l’exécutif.
Des revirements en série
C’est le revers de la médaille. Manuel Valls a érigé la transgression en stratégie politique. Attaque contre les 35 heures, volonté de débaptiser le PS… L’homme s’est construit en attaquant les dogmes socialistes. Une posture pas étrangère à son ascension météorique, mais qui a contribué à morceler la majorité lors du quinquennat. Manuel Valls, habitué des coups de menton, doit désormais élargir son socle politique et rassembler la gauche. L’exercice est délicat et conduit le candidat à de spectaculaires revirements.
Symbole le plus éclatant: sa proposition de supprimer l’article 49.3 de la Constitution, auquel il a recouru six fois pour faire adopter la loi Macron et la réforme du Code du travail. « On m’a imposé le 49-3″, a-t-il assuré jeudi sur France 2, visant directement les frondeurs.
L’ancien contempteur des 35 heures ne propose désormais plus de supprimer l’ISF, prône un revenu décent de 800 euros et assume « le niveau de dépenses publiques dont les Français ont besoin ». « Je n’ai pas changé de conviction, mais j’ai changé, j’ai mûri », s’est justifié l’ex-locataire de Matignon jeudi sur France 2.
Ces changements interrogent et jettent le trouble sur l’identité politique de Manuel Valls. « Il y a un discours pour la candidature et une pratique pour le gouvernement, c’est bien là le problème de Manuel Valls », a lancé ce vendredi Arnaud Montebourg.
Ces revirements ont en outre un effet pervers. Ils ôtent à Manuel Valls sa singularité, instrument de son ascension politique. Ne pas bouger, c’est s’aliéner une partie de l’électorat de gauche. Évoluer, c’est prendre le risque d’être taxé d’opportunisme: Manuel Valls devra faire preuve d’agilité pour sortir de cette ornière.
Une primaire axée sur l’économie
L’économie n’est pas vraiment le point fort de Manuel Valls. Elle est son angle mort. L’ancien locataire de Beauvau est d’avantage identifié sur les questions sécuritaires et identitaires que sur la lutte contre le chômage. Problème: la primaire à gauche tourne autour des questions économiques et sociales. Arnaud Montebourg se présente comme l’apôtre du « Made in France » et de la relance budgétaire, tandis que Benoit Hamon dénonce le « culte » de la croissance » et propose un revenu universel.
Manuel Valls est lui moins audible: Revenu décent, hausse des petites retraites, salaire minimum européen… Le candidat a affiché mardi un programme résolument de gauche, mais n’évite pas le procès en opportunisme instruit par ses concurrents. Manuel Valls incarne en effet au sein du PS une ligne social-libérale très affirmée. « C’est par les actes qu’on juge un homme d’Etat », a déclaré mardi l’ancien Premier ministre, fustigeant ceux qui ont « le regard tourné vers le rétroviseur ».
Des ralliements qui tardent
La candidature de Manuel Valls n’a pas déclenché un tsunami de ralliements. Certes, l’ancien Premier ministre peut compter sur l’appui de plusieurs membres du gouvernement. Najat Vallaud-Belkacem, Michel Sapin ou Jean-Yves Le Drian ont ainsi apporté leur soutien au candidat. Mais le couple exécutif demeure silencieux. François Hollande ne devrait pas exprimer de préférence lors de la primaire. « Valls a l’avantage de l’expérience, mais aucun candidat à la primaire n’est vraiment prêt sur le plan des idées », aurait lâché en privé le président de la République, selon Le Canard Enchaîné.
De son côté, l’actuel chef du gouvernement souhaite conserver « une certaine réserve » dans le scrutin. Selon Le Point, Bernard Cazeneuve devrait néanmoins s’afficher avec Manuel Valls lundi, à l’occasion d’une visite du centre Arianespace d’Évry-Courcouronnes. L’occasion de démontrer la proximité entre deux hommes qui s’apprécient et ont étroitement collaboré lors de la vague d’attentats de 2015 et 2016.
Macron, un caillou dans sa chaussure
Longtemps, Manuel Valls a incarné la réforme et la modernité. Son créneau politique, mélange de libéralisme économique et de fermeté sur les questions de sécurité, lui garantissait une place singulière sur l’échiquier politique. Mais l’éclosion de l’ancien ministre de l’Economie a rebattu les cartes. Manuel Valls a perdu le monopole de la modernité que lui dispute sérieusement Emmanuel Macron. Quelle incidence pour la primaire? Pour l’ancien Premier ministre, un risque existe: celui que des électeurs de centre-gauche, désireux de voter Macron en 2017, ne se déplacent pas pour voter ces 22 et 29 janvier.