Les grands discours sont-ils toujours un 17 janvier?

L’Histoire n’est jamais juste et ne récompense pas toujours les bons. Elle est toujours efficace et punit toujours les faibles.

Telle est la leçon que pourrait inspirer les fins de mandat de deux présidents, aux États Unis et en France, qui n’ont plus désormais que quelques jours pour l’un, et quelques semaines pour l’autre, pour donner du sens à leur action.

Cette situation, qui peut paraître propre aux élus, ou à tous ceux dont le mandat est limité dans le temps, s’applique en fait à chacun de nous, si, ou quand, nous prenons conscience que nous aurons, à une date déterminée, à quitter un emploi, ou la vie.

Dans une telle situation, que faire ? Attendre que cela se termine sereinement ? Bâcler dans la précipitation tout ce qu’on n’a pas fait jusque-là ? Profiter des derniers moments pour améliorer son bilan et la trace laissée sur le destin des autres ?

Les réactions de Barack Obama et de François Hollande peuvent nous aider à réfléchir à ce que nous pourrions vouloir faire, à ce que nous devrons faire, face à une telle situation, parce que nous y serons tous confrontés, d’une façon ou d’une autre.

L’un et l’autre semblent se précipiter aujourd’hui pour bâcler des réponses à des problèmes difficiles, avec d’autant plus de frénésie qu’ils n’ont à attendre aucune bienveillance de leurs successeurs.

Ainsi voit-on le président américain laisser paraître son hostilité, jusqu’ici contenue, à l’égard du président russe, du premier ministre israélien, des pétroliers et des assureurs américains, tout comportement qui aurait pu constituer les bases d’une politique étrangère courageuse, même si elle eut été discutable, s’il l’avait fait frontalement depuis huit ans.

De même, le président français semble habité par le désir de montrer une passion pour les plus faibles, un souci pour un traitement digne des étrangers, qui n’a pas toujours paru visible dans les décisions ou les projets, fiscaux et constitutionnels, de ses gouvernements successifs.

L’un et l’autre auraient beaucoup mieux à faire, en ces brefs et précieux moments. Ils devraient dire à leur pays et au monde, en toute sincérité, pourquoi ils n’ont pas eu le courage de laisser de côté tout électoralisme, quelles réformes ils regrettent de ne pas avoir encore entreprises, et lesquelles leur semblent encore particulièrement essentielles pour l’avenir du pays qu’ils ont eu l’honneur de conduire.

L’un et l’autre devraient proposer un agenda pour les dix prochaines années à leurs successeurs, de demain et d’après demain, quitte à ce qu’ils ne soient pas écoutés.

Si l’un et l’autre avaient fait cela, leur mandat ne se terminerait pas en une pathétique et démagogique course contre la montre, qui sera justement oubliée à peine auront-ils quitté leurs fonctions.

Un seul président américain l’a fait, Dwight D. Eisenhower, dans son discours fondateur sur les dangers du complexe militaro industriel du 17 janvier 1961, à une semaine de la fin de son mandat ; et un seul Président français, Francois Mitterrand, dans son discours bouleversant du 17 janvier (oui, aussi un 17 janvier ! ) 1995, à trois mois de son départ, sur les dangers du nationalisme.

Telle est sans doute la meilleure leçon qu’on puisse tirer de tout cela: se souvenir qu’on doit toujours agir comme si on n’avait que quelques semaines devant nous, ne jamais procrastiner, sans pour autant bâcler ce qui exige du temps pour se construire. Avoir toujours un projet pour dix ans, et si on n’a pas le temps de le conduire, au moins, en léguer le dessein à ceux qui auront à en décider.

j@attali.com