« La loi doit être la même pour tous ».

L’état de droit apparaît aussi faible devant ceux qui le bafouent délibérément que la société tolérante reste démunie face au fanatisme. Se donner des règles de respect légal pour s’opposer à des gens qui les récusent ou s’en inventent d’autres place ipso facto en situation désavantagée. On vient de le constater à Moirans, à Castres et sur l’autoroute A1 lors des violences suscitées par des membres de la communauté gitane.

Nous disons bien la communauté gitane car la première chose à faire est d’appeler les gens par leur nom. Quand cessera-t-on d’user de cette périphrase grotesque des « gens du voyage », qui pourrait aussi bien désigner le personnel de la SNCF ou d’Air-France sinon les employés des agences de tourisme? Le nom « gitan » n’est pas une insulte et l’on aurait fait s’esclaffer Django Reinhardt en le qualifiant d’homme du voyage. Il était Gitan et fier de l’être. Imagine-t-on remplacer sur les paquets de cigarettes l’appellation « Gitane » par « personne de genre féminin appartenant à la communauté des gens du voyage »?  Peut-être (penseront certains) que cela serait encore plus dissuasif que le fameux »paquet neutre »!

Cela dit, sans plaisanter et spécialement à l’adresse des Gitans qui sont de nationalité française, il faut rappeler que leur communauté n’est pas en dehors des règles de la loi démocratique qui transcende, comme pour toutes les communautés, corps, confréries, groupes confessionnels les traditions spécifiques et même les liens de solidarité. Contester cette règle revient à se retrancher de la citoyenneté et c’est là un sentiment profondément ancré dans la conscience nationale séculaire du peuple français.

C’est bien là ce qui fait problème avec ces incidents violents, au-delà de leurs conséquences judiciaires ou des troubles causés à l’ordre public : une large part de l’opinion a l’impression qu’il existe en France des groupes qui, ayant leurs lois propres, s’excluent du même coup de la communauté nationale. En conséquence, elle les exclut à son tour sans trop faire de nuances et les premières victimes sont les communautés elles-mêmes.

Cette conjoncture s’inscrit d’autre part dans le retour de tentations nationalistes, anti-européennes, qui imaginent trouver des solutions à des problèmes de dimensions mondiales en organisant le repli sur soi et la fermeture, tout ce que véhicule l’idéologie du Front national. Il est évident que des troubles de nature communautaire, de même que l’affirmation arrogante de revendications identitaires en contradiction avec des valeurs et des fondements culturels enracinés dans une histoire millénaire, hérissent une population qui reproche à l’Etat, qu’il soit de gauche ou de droite, sa faiblesse et ses tergiversations. Marine Le Pen n’a aucun mal à se donner, les circonstances et les événements travaillent pour elle plus efficacement que tous les discours de propagande.

La seule vraie parade ne pourrait venir que des communautés elles-mêmes, sous la forme d’une vraie distance assumée face aux extrémismes et aux diverses tendances violentes ou séparatistes. Il est certain que la passivité des musulmans européens relativement aux manifestations de l’islamisme radical inquiète et alimente l’islamophobie. Certes, des intellectuels récusent l’obscurantisme avec souvent beaucoup de courage, mais ils trouvent peu d’écho dans les couches populaires intimidées, dit-on, par les minorités activistes. En ce cas, il apparaît vraiment regrettable que ne surgissent pas, pour condamner les dérives fondamentalistes, des mouvements de révolte, des actions de masse comparables à ce que furent il y a vingt ans les marches pour l’égalité. Elles donneraient à l’image de l’islam d’Europe une crédibilité qui lui fait toujours défaut et feraient taire les amalgames.

Il en va de même de la communauté gitane, qui devrait se désolidariser clairement des fauteurs de troubles de Moirans ou d’ailleurs. Ne pas le faire est accepter de facto l’argument de la responsabilité collective devant lequel ne reculait pas l’Ancien Régime. Sous Louis XIV, tous les adultes mâles du camp gitan de Moirans auraient été envoyés sans procès aux galères et les femmes et enfants internés dans un hospice. Nous n’en sommes heureusement plus là, mais certains dans l’opinion n’y seraient pas hostiles.

Car au-delà du risque politique que représente la montée du Front national, il n’est pas excessif d’envisager l’émergence d’un contre-activisme lui aussi en dehors des lois. La multiplication des actes hostiles (inscriptions, profanations) à l’égard de mosquées est alarmante. Déjà, on a constaté des incendies volontaires. Le jet de deux ou trois cocktails Molotov sur un camp de Gitans pourrait suivre. D’un côté comme de l’autre, personne n’a à y gagner et il est évident qu’avant d’en arriver à ces extrémités, l’Etat devrait assurer avec fermeté l’application de l’ordre républicain.

« La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », énonce la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

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