L’Angleterre et l’Europe.

Ainsi, la perspective du « brexit », autrement dit le retrait britannique de l’Union européenne, n’est plus à écarter. L’Angleterre se veut, non dans l’Europe, mais à côté. Pourquoi? Et en a-t-il toujours été ainsi? Un bref survol historique peut être éclairant.

Au Moyen-âge, du XI° au XV° siècle, l’Angleterre est tournée vers le continent (et spécialement vers ce qui va devenir la France). On peut même dire qu’elle en fait intimement partie.

Depuis la conquête de 1066, qui a fait roi d’Angleterre le duc Guillaume de Normandie, la noblesse y a des origines normande, picarde, bretonne, comme en témoignent encore aujourd’hui des patronymes courants dans la haute aristocratie anglaise tels Beaufort, Montaigu de Beaulieu, Mortimer (Mortemer) et autres Villiers. La dynastie Plantagenêt, qui règne durant quatre siècles, descend des comtes d’Anjou et au XII° siècle, suite à son mariage avec Aliénor d’Aquitaine, Henri II Plantagenêt, né au Mans, roi d’Angleterre de 1150 à 1189, contrôle directement ou indirectement un territoire qui, des frontières de l’Ecosse aux Pyrénées, recouvre presque la moitié de la France actuelle. On parle français à la cour d’Angleterre et la langue populaire dérivée de l’anglo-saxon est méprisée. Il faudra attendre la seconde moitié du XIV° siècle pour voir, avec Geoffrey Chaucer, émerger durablement une littérature de langue anglaise.

Rivaux des Capétiens qui portent le titre de roi de France depuis 987, les Plantagenêts vont même jusqu’à revendiquer la couronne de France au XIV° siècle sous le prétexte qu’Edouard III d’Angleterre en tient l’héritage de sa mère, fille du roi de France Philippe IV le Bel. Il en sort ce que nous appelons la Guerre de Cent ans. En 1420, après le désastre français d’Azincourt, le traité de Troyes fonde même le principe de l’union des deux royaumes sous le sceptre de Henri V d’Angleterre.

Ainsi, jusqu’au milieu du XV° siècle, les « affaires de France » polarisent la politique des rois d’Angleterre, qui ont perçu leur royaume insulaire comme partie intégrante d’un ensemble continental. C’est précisément l’échec de ces ambitions et la perte de leurs possessions de France, entre 1430 et 1450, qui conditionnent un grand tournant.

Ces évènements, auxquels s’ajoute une crise dynastique qui conduit à une guerre civile de trente ans (la guerre des Deux-Roses), entraînent une sorte de repli. L’avènement de Henri VII Tudor en 1485, suite à la défaite et à la mort de Richard III, dernier des Plantagenêts, est plus en effet qu’un changement de dynastie. La vieille aristocratie anglo-normande, décimée par la guerre des Roses, est en partie remplacée par la promotion de familles nouvelles, la langue anglaise s’impose, les Tudor, d’origine galloise, renoncent non seulement aux aventures outremer, mais ils vont à présent privilégier leur royaume et nourrir méfiance et suspicion à l’égard des puissances du continent.

Le signe annonciateur de ce tournant historique, c’est la rupture avec l’Eglise romaine sous le règne de Henri VIII.

Peu importent les raisons purement circonstancielles du geste (le refus du pape d’entériner le divorce de Henri VIII), on doit en retenir le sens. Le roi rejette toute autorité étrangère à la sienne dans son royaume. L’Acte de Suprématie de 1534, confirmé en 1559 par sa fille Elisabeth 1ère, et qui fait du souverain le chef de l’église d’Angleterre, n’est en rien une adhésion à la Réforme protestante : Henri VIII prend d’ailleurs ses distances à l’égard des luthériens dès 1539 ; l’anglicanisme conserve une grande part du rituel et le système hiérarchique de l’Eglise catholique. Cela dit le roi d’Angleterre est maître chez lui. Le schisme annonce ce qui va devenir pour les siècles suivants le double impératif de la politique anglaise : ne dépendre en aucun cas d’une quelconque autorité extérieure au royaume et (corollaire) combattre toute entreprise hégémonique qui tendrait à unifier les états du continent et pourrait représenter une menace potentielle.

Ainsi, dès le XVI° siècle, les Tudor se dressent contre la prépondérance que s’assure en Europe de l’Ouest la monarchie espagnole de Philippe II. Menacée d’invasion en 1588 par l’expédition de l’Invincible Armada, Elisabeth 1ère soutient la révolte des Pays-Bas contre la domination espagnole, elle riposte en se dotant d’une puissance maritime et en s’implantant en Amérique du Nord. Un siècle plus tard, quand la monarchie de Louis XIV inaugure une période de suprématie française, l’Angleterre s’institue adversaire déterminé et durable de la France, participant à toutes les entreprises militaires qui tentent de contrer la puissance des Bourbons.

Plus étonnant (et très révélateur), l’Angleterre devient paradoxalement, à partir de 1793, l’âme et la source de financement des coalitions que les monarchies européennes constituent contre la Révolution française. Alors qu’idéologiquement, ce sont les institutions anglaises qui se trouvent les plus proches du programme de 1789, c’est l’Angleterre qui refuse jusque 1802 de faire la paix. Celle-ci établie, elle la rompt quelques mois plus tard dès qu’elle perçoit la réalité des ambitions de Napoléon Bonaparte.

La France ayant cessé d’être un danger après 1815, l’Angleterre est tranquille jusqu’à ce que monte, dans le dernier quart du XIX° siècle, la puissance d’une Allemagne unifiée qui ne cache pas des ambitions hégémoniques. Le royaume se rapproche alors de son ancien ennemi français et la première moitié du XX° siècle le verra combattre jusqu’à la ruine définitive de l’entreprise de suprématie allemande.

Plus tard, à partir de 1950, naît et progresse l’idée d’un rapprochement des puissances européennes, tant pour établir enfin la paix que pour créer un vaste ensemble de développement économique.

Londres n’est pas hostile à ce dernier point, mais ne veut pas entendre parler d’une unité politique qui ressusciterait de facto une grande puissance continentale. Dans un premier temps, le Royaume-Uni se tient non seulement à l’écart, mais il convainc un certain nombre de pays de refuser l’Europe politique au profit d’une simple zone de libre-échange dont il serait le chef de file. Loin de modifier ce point de vue, l’adhésion britannique à la CEE, en 1973 inaugure en fait une méthode plus efficace puisque agissant de l’intérieur tout en poursuivant le même but. Méthodiquement, le Royaume-Uni visera constamment à promouvoir, au sein de l’Union, l’ouverture économique en entravant tout ce qui ressemble de près ou de loin à une quelconque fédéralisation.

Une telle constance séculaire est un élément d’explication à la tentation actuelle du « brexit ». Cela dit, l’Angleterre n’est plus à la tête d’un « empire sur lequel le soleil ne se couche jamais » ; le « brexit » risque d’autre part de disloquer le Royaume-Uni, les Ecossais ne partageant pas l’europhobie de nombreux Anglais ; les milieux d’affaires de la City s’inquiètent à juste titre d’un risque de marginalisation…

Surtout, le choc produit et la menace induite sur l’avenir même de l’Union européenne peut aussi susciter, de ce côté-là, un sursaut qui prendrait par exemple la forme d’un resserrement des liens des pays de la zone euro et, précisément, un début de fédéralisation à cette échelle, prémices de ce que l’Angleterre redoute avant tout depuis un demi-millénaire.

Le « brexit » ne serait-il donc pas aussi pour l’Angleterre ce qu’on appelle « ouvrir la boîte de Pandore »?

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