Sarkozy-Bayrou: chronique d’une haine viscérale

Le maire de Pau, soutien actif d’Alain Juppé dans la primaire à droite, est la cible privilégiée de Nicolas Sarkozy. Les deux hommes se vouent une haine réciproque depuis plusieurs années.

Tout les sépare. L’impétueux contre le modéré. Le fils d’agriculteur contre l’enfant des beaux quartiers. Le lettré contre l’homme d’action. Nicolas Sarkozy et François Bayrou ne partagent rien, sauf une ambition présidentielle qui nourrit une haine réciproque entre les deux hommes. Leur pomme de discorde s’appelle aujourd’hui Alain Juppé. Le maire de Pau affiche ostensiblement son soutien à l’ancien Premier ministre? Nicolas Sarkozy dépeint le président du Modem en homme de gauche – il a voté Hollande en 2012 – et agite le spectre d’un quinquennat paralysé par les centristes.

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Ministres du gouvernement Balladur

Ces deux fauves politiques se connaissent pourtant bien. Entre 1993 et 1995, tous deux font partie du gouvernement Balladur. Et pour cause: comme le rappelle Paris Match, les deux hommes ont participé aux négociations de rapprochement entre le RPR et l’UDF, prélude à l’écrasante victoire de la droite aux législatives de 1993.

Dans le gouvernement Balladur, François Bayrou apprend à connaître l'un de ses collègues, un certain... Nicolas Sarkozy, ministre du Budget et porte-parole du gouvernement.

Dans le gouvernement Balladur, François Bayrou apprend à connaître l’un de ses collègues, un certain… Nicolas Sarkozy, ministre du Budget et porte-parole du gouvernement.

Reuters

Tous deux soutiennent également la candidature malheureuse à l’Elysée du chef de gouvernement. Avec des issues contrastées. Nicolas Sarkozy démarre une longue traversée du désert, François Bayrou passe à travers les gouttes. Il conservera son portefeuille de ministre de l’Education, jusqu’à la dissolution ratée de 1997.

1999: premiers accrocs

Les premières fissurent apparaissent en 1999. Les deux responsables conduisent des listes concurrentes lors des élections européennes. François Bayrou ayant refusé de faire alliance avec la droite. La rupture devient un gouffre lors du deuxième quinquennat de Jacques Chirac.

Alors ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy tente un exercice périlleux: rester loyal au pouvoir en place, tout en prenant ses distances avec le président sortant. François Bayrou n’a pas cette équation à résoudre. Pour marquer son indépendance envers l’UMP, le président de l’UDF vote en 2006 une motion de censure contre le gouvernement Villepin, affaibli par l’échec du CPE. La campagne présidentielle de 2007 accentuera la tendance.

2007: Bayrou ne vote pas Sarkozy

François Bayrou mène une campagne offensive pour exister entre les deux favoris, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Troisième homme du scrutin, il ne donne pas de consignes de vote pour le second tour et refuse de déposer un bulletin Sarkozy dans l’urne.

Ségolène Royal et François Bayrou en 2007

Ségolène Royal et François Bayrou en 2007

REUTERS/Benoit Tessier

Il débat même avec Ségolène Royal sur le plateau de BFMTV, au grand dam du candidat UMP. François Bayrou l’accusera « d’intimidation et de menace » pour empêcher la retransmission de l’émission. Le centriste s’affranchit définitivement de la droite au lendemain de la victoire de son rival, en créant le Modem, absent des gouvernements Sarkozy.

Sarkozy, cet « enfant barbare »

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy va sceller leur haine viscérale. Pendant cinq ans, François Bayrou se pose en procureur du sarkozysme. Son livre Abus de Pouvoir, sorti en 2009, est une déclaration de guerre contre le chef de l’Etat. Il le décrit en « enfant barbare », fustige son goût immodéré pour l’argent et son exercice solitaire du pouvoir. « Il est enfant en ce qu’il se croit tout-puissant, qu’il imagine que le monde commence avec lui et qu’il est à sa main. Il est barbare en ce qu’il sous-estime, méprise ou, plus gravement encore, ignore ce que sont les piliers culturels et moraux, de la maison », écrit le biographe d’Henri IV, rappelle Libération.

De son côté, Nicolas Sarkozy répond à sa manière à ces critiques. En 2008, il torpille la candidature de son contempteur à la mairie de Pau, tablant sur une victoire socialiste dans la ville. Manière d’isoler un peu plus François Bayrou, dont le nouveau parti se réduit progressivement à peau de chagrin. La « vengeance » du centriste viendra quatre ans plus tard.

Le 3 mai 2012, il annonce sa décision de voter François Hollande à l’élection présidentielle, sans toutefois appeler à voter pour le candidat socialiste. Coup de tonnerre chez les sarkozystes, qui attribuent la défaite de leur champion à ce choix de dernière minute. Quatre ans plus tard, la décision de l’actuel maire de Pau constitue le moteur de la campagne de l’ancien chef de l’Etat. Comme si la haine entre les deux hommes devait décider de l’issue de la primaire.