Derrière les portes étroites du Conseil constitutionnel

Mediapart publie ce matin une courte mais très intéressante enquête de la journaliste Mathilde Mathieu sur le Conseil constitutionnel. Pas de révélations fracassantes, mais on y parle beaucoup des « portes étroites » et on dévoile un peu le fonctionnement du Conseil.

Les « portes étroites » sont les interventions juridiques extérieures, parfois signées par de grands constitutionnalistes, pour donner une opinion juridique sur un recours quand le Conseil constitutionnel est saisi par les parlementaires sur l’ensemble d’une loi. Dans ces cas de saisines parlementaires, le Conseil doit juger des textes parfois très denses en moins d’un mois. Ces interventions extérieures, souvent très éclairées, sont parfois appréciées par les membres du Conseil constitutionnel. Celui-ci est est libre d’en faire ce qu’il veut, certaines portes étroites finissant même directement à la poubelle (mais quand la signature est prestigieuse, le texte est lu attentivement). En 2014, 47 « portes étroites » ont été remises au Conseil constitutionnel. Sur la seule loi renseignement, on en a frisé l’overdose avec 21 portes étroites (dont celle très complète de la Quadrature du Net, FDN et FFDN).

Le Conseil en 2013 (© Conseil constitutionnel)

Le Conseil en 2013 (© Conseil constitutionnel)

Pour les QPC (lorsque le conseil doit juger de la constitutionnalité d’une disposition déjà promulguée), la procédure est encadrée, les parties peuvent recourir à un avocat et des mémoires extérieurs peuvent être déposés. Mais pour les saisines parlementaires, tout est plus flou.

Pourtant les « portes étroites » n’échappent pas, et ce n’est pas étonnant, au lobbying. Lobbying des associations mais aussi des intérêts économiques. En 1994, Olivier Schrameck notait déjà« une corrélation plus étroite entre l’importance des intérêts économiques et financiers mis en cause et la multiplicité des documents parvenant au Conseil par cette voie dite étroite ». Mediapart cite notamment les nombreuses interventions du constitutionnaliste Guy Carcassonne (détaillées dans cet article de la revue Pouvoirs), parfois pour des lobbys économiques importants. Et ces interventions ne sont pas toujours bénévoles. Dans l’article de Mediapart, on parle de 20 000 € payés par la Ligue de football professionnel pour rédiger un mémoire contre la taxe à 75%.

On en a souvent parlé sur ce blog, le lobbying ne se déroule pas qu’au Parlement. Simplement, c’est là qu’il est le plus visible. Il est plus efficace pour un lobbyiste d’agir en amont, devant le gouvernement, là où la décision s’élabore. Et en aval, devant le Conseil, là où une disposition peut être définitivement enterrée.

Il semble donc nécessaire de prévoir un minimum de transparence, comme le demandait Authueil sur son blog au mois d’août. Pour l’instant, les « portes étroites » ne sont mêmes pas prévues par le Conseil dans son règlement, par crainte notamment d’un appel d’air (sur la loi renseignement, il y a eu un véritable concours de « portes étroites » qui a dû en énerver quelques-uns). A minima, ces portes étroites devraient être publiées. On peut aussi se demander pourquoi le Conseil ne publie les différents documents qu’une fois sa décision prise et pourquoi certaines de ces censures sont si laconiques. Les faibles moyens alloués aux membres du Conseil posent aussi question (lire le très intéressant « Une sociologue au Conseil constitutionnel » de Dominique Schnapper) : quand les Conseillers n’ont même pas de collaborateurs personnels qui pourraient les éclairer sur un sujet, ils ont encore plus besoin de ces contributions extérieures.

Le Conseil constitutionnel a pris une importance considérable depuis 50 ans. Il faut que ses moyens, mais également les exigences de transparence et d’éthique augmentent : les lois sur la transparence ont ainsi interdit aux membres du Conseil de cumuler avec d’autres fonctions. Le fait que les Présidents de la République retraités y siègent encore est de moins en moins accepté. Mais le Conseil n’a pas encore pris la mesure de l’ampleur des changements nécessaires.

Reste un dernier trou noir : la rédaction des saisines parlementaires. Pour qu’un lobby puisse influer le Conseil sur un texte, encore faut-il qu’il soit saisi par 60 députés ou 60 sénateurs. Mais certaines rédactions de saisines ne sont pas au niveau : et pour cause, pour rédiger leurs saisines, les parlementaires et les groupes n’ont pas plus de moyens que les membres du Conseil constitutionnel. La rédaction d’un recours demande du temps et d’y allouer des ressources humaines. On manque souvent des deux. Dès lors, il est logique que des lobbys prennent de l’importance au moment de rédiger la saisine, lorsque l’opinion des parlementaires rejoint celle des lobbys. Pour rédiger une saisine, on se tournera naturellement vers des juristes qui défendent la même cause.

On en revient une fois de plus aux faibles moyens alloués aux parlementaires et aux groupes parlementaires, bien plus problématiques que le lobbying. Tant que les financements pour leur travail resteront aussi faibles, il ne faudra pas s’étonner du poids de certains lobbys.