Loi SRU: la croisade de Patrick Kanner

Ville, jeunesse et sports, le champ de comptences du ministre Patrick Kanner est large. a tombe bien, il aime courir et bosser. L’Express l’a suivi ce vendredi matin dans l’ouest du Var, o il faisait le point sur la loi SRU.

Patrick Kanner est un ministre tout-terrain. Samedi dernier, on l’a vu au stade Millenium de Cardiff encourager l’équipe de France de rugby qui affrontait l’Irlande. Ils ont perdu mais ce n’est rien, « ils sont tout à fait capables de gagner demain contre les All Blacks », veut croire Patrick Kanner.

Ce vendredi matin, il s’est rendu dans le Var pour discuter de logements sociaux avec les maires de deux communes qui ne respectent pas la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain): La Cadière-d’Azur (5448 habitants) et Le Beausset (9204 habitants). Demain, il visitera le pôle jeunesse de la ville de Guingamp (Côtes-d’Armor), avant d’assister au match Guingamp-Lille, en ligue 1 de football.

Le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports suit de près les trois thèmes dont son ministère a la charge et entend le montrer. Avec tout l’allant, l’humour et l’empathie dont il est capable, des traits de caractère qui l’ont déjà rendu célèbre auprès des téléspectateurs (notamment ceux du Petit Journal de Canal Plus, qui ne rate pas une de ses facéties) alors qu’il ne siège au gouvernement que depuis à peine 13 mois.

En mode ville

Ce vendredi, le ministre était donc en mode « Ville », avec logement social au programme. La loi SRU impose à près de 2000 communes urbaines de l’Hexagone de compter un minimum de 20 à 25% de logements sociaux. Elle va bientôt fêter son quinzième anniversaire, mais son message n’a pas encore été entendu partout. Plusieurs centaines de villes ne respectent pas les objectifs de la loi et 221 d’entre elles se sont vu signifier un « état de carence » par le préfet de leur département.

Depuis deux ans environ, de fortes pénalités financières frappent les communes dites « carencées ». La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur en compte à elle seule 88, soit près de 40% du total français, ce qui donnait à Patrick Kanner une bonne raison de marquer le coup par une petite visite sur le terrain.

La Cadière-d’Azur est un village charmant de l’ouest varois. « Perché sur un piton qui domine un océan de vignes », selon les mots du maire, René Jourdan (DVG), en place depuis 1989. Un océan de vignes – qui produisent de très bonnes bouteilles de bandol – et de lotissements chics qui abritent de nombreux cadres travaillant à Toulon ou à Marseille, les deux métropoles situées à une demi-heure de voiture par l’autoroute.

A La Cadière-d'Azur (Var), 40 logements sociaux verront le jour sur ce terrain boisé.

A La Cadière-d’Azur (Var), 40 logements sociaux verront le jour sur ce terrain boisé.

Pierre Falga

La commune compte aujourd’hui moins de 5% de logements sociaux mais « une démarche de rattrapage est engagée, a reconnu Patrick Kanner. Dans le Var, on compte 30 000 demandes de logement social et trois habitants sur quatre peuvent y prétendre, compte tenu de leurs ressources. Pour construire de nouveaux logements sociaux, qui n’ont plus rien à voir avec les barres HLM des années soixante, il y a des maires volontaires, comme René Jourdan, et d’autres qui le sont un peu moins. »

Derrière le ministre, le paysage de garrigue et de pins laisse mal augurer de ce que sera le futur lotissement social des Défends, 40 logements construits par le Logis familial varois, mais la première pierre sera posée « fin 2016″, promet le maire. Les locataires arriveront donc en 2017 et ils devraient apprécier le décor.

Des maires plus ou moins volontaires

Quand Patrick Kanner a parlé de maires « un peu moins volontaires », les oreilles de Georges Ferrero, maire (DVD) du Beausset depuis mars 2014, ont dû siffler. Car au Beausset, on compte seulement 1% de logements sociaux et aucun effort de construction n’a été fourni ces dernières années. La commune a pourtant vu sa population tripler depuis 1975, de 3000 à 9200 habitants, ce n’était donc pas le foncier disponible qui manquait.

« Les habitants n’en voulaient pas », explique Georges Ferrero, tout miel et tout sourire devant le ministre et le préfet. Pour lui faire changer d’avis, il aura fallu des pénalités conséquentes (300 000 euros par an pour un budget de fonctionnement de 2 millions d’euros) et que la préfecture décide de préempter deux terrains dans sa commune. Bon prince, le ministre rassure le maire du Beausset: « vous êtes un bon élève et je constate avec plaisir que vous êtes prêts à aller plus loin ».

Pour « convaincre les maires de la nécessité de respecter la loi et de participer à la mixité indispensable à la cohésion nationale », comme l’explique le dossier de presse ministériel, rien n’a mieux marché que d’attaquer les communes au portefeuille. Au risque d’énerver un peu plus des maires déjà en colère contre la baisse des dotations de l’Etat.

Résistance

« Qu’ils préemptent, qu’ils fassent leurs logements et je mettrai des panneaux devant pour dire aux gens qu’ils n’auront pas de places en crèches et à l’école », a ainsi déclaré le maire de Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), Roland Mouren (SE), devant les caméras de France 3 Provence-Alpes, le 7 octobre dernier. « Ce sont des propos indignes d’un élu républicain, commente Patrick Kanner, le logement est un droit et la République doit être ferme et généreuse. »

On reproche parfois au ministre d’être en campagne électorale pour les régionales mais Patrick Kanner s’en défend : « Le gouvernement a d’abord renforcé la loi SRU, par des textes en 2013 et en 2014, et il a décidé d’accélérer le mouvement en mars 2015, ce n’est pas une opération politique en vue des régionales. La politique de la ville est un sujet qui nous tient beaucoup à coeur, à Sylvia Pinel [ministre du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité] et à moi-même. Si on veut casser les ghettos dans nos villes, il faut construire ailleurs des logements sociaux de qualité. Je suis peut-être souriant et empathique mais je saurai aussi faire preuve d’autorité car j’ai vraiment envie d’avancer sur le sujet. »

A quelques jours du dixième anniversaire des émeutes qui ont embrasé les banlieues françaises, en novembre 2005, il serait en effet temps que la politique change vraiment la ville.